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« M. Comte, que nous avons vu il y a deux jours, nous a dit que les bras lui étaient tombés en lisant tout ce que Grégoire avait écrit. Conçoit-on qu’on ait porté un homme avec cet acharnement sans s’être donné la peine de rechercher sa vie passée ? Tous ces honnêtes patriotes sont comme les ministres vis-à-vis du roi ; ils disent : « Si nous nous dépopularisons, nous perdons tout crédit et ne pourrons plus faire aucun bien. »

« Les doctrinaires et leur journal le Courrier sont bien détestés. M. Laffitte a dit à Auguste : « Si j’avais en envie de quitter le côté gauche, le Courrier m’en aurait détourné. »


« 22 octobre. — M. Constant est venu hier au soir ; il a commencé à se désoler sur Grégoire, mourant de peur de tout ce qui pourrait résulter. Il m’a dit une chose qui me désole, c’est que Grégoire était au fond très ébranlé et très incertain, désirant qu’on lui persuadât de donner sa démission, mais qu’il avait reçu une lettre de M. d’Argenson pour le supplier de n’en rien faire. « A voir, dit-il, la désolation de ce misérable Grégoire, on dirait qu’il avait oublié comme les autres ses propres paroles. »


« 23 octobre. — Auguste a été lui-même hier chez Grégoire. Il a la de ses propres yeux la lettre de M. d’Argenson, elle est signée de lui seul, mais dans un post-scriptum il ajoute : « MM. Demarçay et Fradet se joignent à moi dans tout ce que je vous écris. » Les phrases suivantes sont textuellement dans la lettre.

« Très cher et très honorable collègue, on nous a dit que quelques personnes vous suppliaient de donner votre démission, mais, en agissant ainsi, vous pourriez décourager les autres départemens de s’élever à la hauteur de patriotisme à laquelle s’est élevée l’Isère. Ce n’est pas dans un moment où le congrès de Carlsbad menace tous les patriotes, qu’ils peuvent se passer d’un guide tel que vous. »

« Ce malheureux Grégoire a reçu Auguste, les larmes aux yeux, l’a remercié de sa lettre et l’a supplié de lui communiquer tous les renseignemens qui lui parviendraient.

« Victor s’est décidé à y aller et a fait prier Benjamin Constant de venir déjeuner avec lui. Benjamin est arrivé trop tard, blême et agité, parce qu’il ne savait trop comment se dédire de ses discours de la veille. Il a balbutié quelques mots, et il a fini par dire : « Si vingt personnes du côté gauche vont chez Grégoire, j’irai, mais sans cela, je n’irai pas ; » il ajoutait que s’il demandait la démission de Grégoire, il ne serait pas élu l’année prochaine. J’ai essayé de l’attendrir en lui parlant de la misérable situation où on mettait ce pauvre homme. « Ah ! quant à cela, m’a-t-il dit, rien ne m’est