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d’échanger ce poste contre celui de major-général de la garde nationale en lui disant :

« Les choses sont arrangées ; le duc de Mortemart est président du conseil ; Gérard et Perier sont ministres ; j’aurais peut-être désiré autre chose, mais, que voulez-vous ? tout paraît décidé. »

Deux heures après, vers les huit heures, on lisait affiché sur la porte même de M. Laffitte, à la Bourse, et dans tous les lieux publics un placard ainsi conçu : « Charles X ne peut plus rentrer à Paris ; il a fait couler le sang du peuple ; la république nous exposerait à d’affreuses divisions ; elle nous brouillerait avec l’Europe. Le duc d’Orléans est un prince dévoué à la cause de la révolution ; le duc d’Orléans ne s’est jamais battu contre nous ; le duc d’Orléans était à Jemmapes ; le duc d’Orléans a porté les couleurs nationales ; le duc d’Orléans peut seul les porter encore ; le duc d’Orléans s’est prononcé ; il accepte la charte comme nous l’avons toujours voulue et entendue ; c’est du peuple français qu’il tiendra sa couronne. »

Cette dernière phrase fut immédiatement modifiée ainsi qu’il suit dans un second placard : « Le duc d’Orléans ne se prononce pas; il attend notre vœu ; proclamons ce vœu, il acceptera la charte comme nous l’avons toujours entendue et voulue. »

D’où provenaient ces placards ? On sait aujourd’hui qu’ils étaient l’œuvre de MM. Thiers et Mignet, et que le libraire Paulin, fort de leurs amis, donna ses soins à l’impression et à l’affichage. M. Laffitte était-il dans le secret? Il y a lieu de le présumer, d’après cette phrase : «J’aurais peut-être désiré autre chose ; mais je ne vois pas qu’il y eût lieu de lui en faire un reproche. » Il était fort naturel d’avoir plus de confiance dans le duc d’Orléans que dans Charles X après les ordonnances, il était raisonnable d’avoir plus d’une corde à son arc; et du moment où M. Laffitte ne se refusait point à entendre M. de Mortemart; à négocier et à s’entendre avec lui, s’il était possible, M. Laffitte était dans son droit.

Quoi qu’il en soit, le nom de M. le duc d’Orléans mit le feu aux poudres ; en moins d’une heure il courut en tous sens et de bouche en bouche ; je n’entendis prononcer aucun autre nom ni même parler d’aucune autre chose, en remontant de bonne heure le boulevard, dans l’idée de trouver les députés réunis de nouveau chez M. Laffitte et de m’acquitter en leur expliquant les tribulations de mon expédition nocturne. Chemin faisant, je rencontrai tout à coup M. Hyde de Neuville, qui, s’imaginant apparemment voir déjà le duc d’Orléans trôner la couronne en tête et le sceptre en main, et me croyant l’un des doli fabricator, s’en vint droit à moi tout furieux et commençait à me chapitrer si je l’eusse laissé faire. Je coupai court à ses remontrances intempestives, tout au moins, et prématurées, en lui faisant observer que, fondée ou non, quant à moi,