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de sang royal, et je désirais sincèrement la réconciliation des pouvoirs publics à des conditions compatibles avec l’honneur et la sécurité réciproques. La tâche me paraissait assez difficile pour qu’on y réfléchît posément, et qu’on évitât d’en compromettre le succès par des déclamations oiseuses et des criailleries inutiles. A la fin, ne voyant rien venir, je pris sur moi d’offrir à M. Laffitte, qui présidait à peu près cette quasi-réunion, d’aller moi-même jusqu’au Luxembourg, à la recherche de M. Mortemart, qui peut-être s’y serait arrêté pour s’entendre avec ses précurseurs et recevoir leur rapport.

Mon offre étant agréée, je me mis-en route, mais ce n’était pas petite affaire. Pour arriver de l’hôtel Laffitte, situé rue Cerutti (maintenant rue Laffitte) au Luxembourg, il me fallait traverser le boulevard, longer la rue Richelieu, suivre les deux quais de la Seine, et pénétrer jusqu’au fond du faubourg Saint-Germain, parlementer, d’obstacle en obstacle, avec les barricadeurs, escalader des monceaux de pavés et de voitures renversées ; je n’atteignis qu’à près de minuit le but de cette course au clocher. Arrivé, j’eus grand’ peine à me faire ouvrir, le portier s’était barricadé au dedans : à force de m’époumonner, j’appris par un guichet que M. de Sémonville était rentré seul, qu’il s’était mis au lit, n’en pouvant plus, et qu’on n’avait pas entendu parler de M. de Mortemart.

Mon retour lut plus difficile encore, car c’était à qui multiplierait dans les rues les chausse-trapes, mais, par un grand hasard, qui fut pour moi un grand bonheur, je trouvai tout à coup un compagnon de route ; ce fut le général Tromelin, ancien Vendéen, bien posé dans l’armée impériale, et que j’avais connu en Illyrie, où le duc de Raguse lui avait donné le commandement d’un régiment croate. Nous nous prêtâmes mutuellement appui, tant pour franchir les obstacles que pour tenir en respect les tapageurs qui célébraient leur triomphe en accablant d’injures les gens proprement vêtus et en leur montrant le poing sous le nez. Comment, pourquoi le général Tromelin s’était-il fourvoyé dans cette bagarre, je l’ignore, ou, s’il me Ta dit alors, je l’ai oublié ; mais ce dont je me souviens très bien, c’est qu’ayant appris par moi l’avènement de M. de Mortemart au ministère, et, s’imaginant que j’allais devenir membre de ce ministère, il me recommanda d’insister auprès du général Gérard pour lui faire obtenir le grade de général de division.

Le jour commençait à poindre quand je me trouvai près de chez moi, et n’ayant rien à rapporter qui pût éclairer la réunion Laffitte, laquelle devait, à coup sûr, s’être dispersée, je rentrai au logis, et je me jetai tout habillé, c’est-à-dire tout poudreux et tout déguenillé, sur mon lit.