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trouva que dix ou douze députés, les plus ardens, les plus enclins aux partis extrêmes, que le général Sébastiani réussit, néanmoins encore, à faire échouer. Rendez-vous pris pour le lendemain à six heures du matin chez M. Laffitte.

Au moment où ce petit groupe pacifique à son corps défendant se séparait encore une fois, le duc de Raguse faisait évacuer encore une fois l’Hôtel de Ville, reployer encore une fois ses détachemens sur lui-même et reprendre à regret ses positions du matin. Ses trois ou quatre colonnes avaient ferraillé, bataillé toute la journée, versé fidèlement mais avec chagrin beaucoup de sang, subi de grandes pertes, proportion gardée à leur petit nombre, et se retiraient faute de pain pour manger et de cartouches pour tirer. On ne pouvait pas dire qu’elles eussent été vaincues, car rien n’avait tenu à leur approche ; mais elles avaient été pour ainsi dire à la nage dans un océan d’émeute dont les flots s’ouvraient devant elles et se reformaient derrière. Bref, le 28 au soir, le Louvre, les Tuileries, le Palais-Royal, la Banque, les Champs-Élysées étaient à couvert ; tout le reste de la capitale était livré à l’insurrection, qui couvrait les quais, les rues et les boulevards de barricades.

J’avais, dans le cours de cette journée, côtoyé, autant que possible, les mouvemens de la foule, dans toute la longueur des boulevards, et je m’étais tenu à proximité des diverses réunions de députés où pouvait m’introduire, encore une fois, le hasard des circonstances, mais où je n’avais point de qualité pour entrer de mon chef et forcer la porte.

Je regagnai mon logis vers minuit, traversant la place et le pont de la Concorde occupés par nos troupes. Le faubourg Saint-Germain était encore tranquille, du moins de nos côtés.

Le lendemain, de grand matin, je repassai la Seine. Ce qui arriva, je ne le raconterai point ici ; je ne vis rien que ce que vit tout le monde ; je ne sais rien que ce que sait tout le monde, ce qu’on peut lire partout.

On sait que le duc de Raguse s’était retranché dans ses positions de la veille, à sa droite la Seine, le boulevard à sa gauche, sur son front le Louvre et la place Victoire, couvrant ainsi les Tuileries et les Champs-Élysées, c’est-à-dire la route de Saint-Cloud ; on sait qu’il offrit inutilement aux insurgés l’armistice qu’il avait, la veille, refusé aux députés ; on sait qu’il fut forcé dans ce champ clos, à sa gauche, parce que les deux régimens ou plutôt les débris des deux régimens qui gardaient la place Vendôme (le 5e et le 53e) passèrent à l’insurrection ; à sa droite, parce qu’à la faveur de l’armistice dont ils ignoraient l’existence, une bande d’insurgés escalada le Louvre.

Entre midi et une heure, le duc de Raguse était en pleine retraite,