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rapport des délégués. Ils se présentèrent à deux heures au quartier-général, séant depuis la veille dans l’aile gauche des Tuileries et peu s’en fallut que cette démarche ne devînt fatale à plusieurs d’entre eux. L’ordre venait d’être, en effet, donné par le ministre d’arrêter six députés, au nombre desquels se trouvaient MM. Laffitte et Mauguin ; l’ordre était signé et remis au colonel de la gendarmerie, M. de Foucault, coutumier du fait (c’était lui-même qui avait, empoigné Manuel) ; le duc de Raguse reprit l’ordre et le déchira en se montrant tout prêt à recevoir la députation avec égard et bienveillance.

Il n’en fut pas tout à fait ainsi du ministère, qui siégeait porte à porte à dix pas de là ; apprenant que les délégués mettaient pour condition à l’offre de leurs bons offices le retrait des ordonnances, i! fit la sourde oreille. Le duc de Raguse expédia sur-le-champ au roi son premier aide-de-camp pour lui rendre un compte exact de l’état des choses; il ne pouvait faire ni plus ni mieux.

Au sortir de cette entrevue, M. Casimir Perier vint chez M. Guizot nous raconter son peu de succès. Quand je dis nous, je parle de nos amis communs, de ce petit nombre d’hommes du centre gauche engagés, comme moi, dans les événemens de la veille et du jour et qui pensaient comme moi que notre premier devoir et notre plus pressant intérêt était de maintenir la résistance sur la défensive et de laisser peser tous les torts sur le roi et sur les siens, de lui ouvrir jusqu’au dernier moment la voie du retour et de ne prêter aucun appui aux révolutionnaires de profession, aux éternels conspirateurs, aux rêveurs de bonapartisme ou de république. M. Perier, préludant au rôle qu’il a depuis joué glorieusement, y était le plus décidé de nous tous, précisément parce qu’il était le plus résolu à tenir bon jusqu’au bout, parce qu’il se tenait, comme député de Paris, le plus engagé envers le peuple de Paris, mais engagé pour le bien et pour le bon sens : « Après ce que ce peuple vient de commencer, nous dit-il en partant pour rendre compte de sa mission à la réunion ajournée chez M. Bérard, dussions-nous y jouer mille fois notre tête, nous sommes déshonorés, si nous ne restons pas avec lui. »

Cette réunion, indiquée à quatre heures chez M. Bérard, ne fut pas nombreuse. On varie sur le chiffre. On n’y fit autre chose que d’entendre le rapport des délégués, d’approuver et de signer la protestation rédigée par M. Guizot, en s’ajournant de nouveau chez M. Audry de Puyraveau à huit heures du soir.

La protestation fut livrée à l’impression revêtue de soixante-trois signatures, la plupart données à crédit par les députés présens se portant fort pour les absens.

Moins nombreuses encore fut la réunion de huit heures; il ne s’y