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SOUVENIRS[1]

LA RÉVOLUTION DE JUILLET 1830.

Je ne sais quel philosophe a dit je ne sais où que l’événement le plus attendu prenait au dépourvu l’esprit le plus attentif. Ce fut le cas pour moi le 26 juillet 1830. j’étais aux aguets, sans préjugés, sans illusions ; je tenais le ministère pour capable de tout, par outrecuidance, par étourderie, par laisser-aller, selon le caractère de chacun ; mais j’espérais toujours un peu qu’au dernier moment le cœur lui ferait défaut. Aussi, lorsque le 26, à midi, M. Villemain entra dans mon cabinet, tout bouillant d’indignation, il me trouva livré à mes préoccupations ordinaires, nescio quid meditans nugarum totus in illis ; le Moniteur était sur mon bureau ; je ne l’avais pas décacheté.

— Eh bien ! me dit-il, vous avez vu les crimes de ce matin ?

J’ouvris le Moniteur, j’y lus les crimes, et mon premier soin fut d’écrire aux députés nouvellement élus dans l’Eure de venir à Paris sur-le-champ et de se tenir prêts à tout événement.

Je sortis avec M. Villemain ; puis, chacun de notre côté, nous courûmes à pas pressés chez nos meilleurs amis pour essayer de nous réunir et de nous recorder, mais il arriva tout naturellement que, chacun d’eux en faisant autant, personne ne rencontra personne durant la première moitié de la matinée ; ce ne fut qu’à la

  1. Voyez la Revue du 1er avril, du 1er mai et du 1er juin.