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d’autant plus extravagante qu’elle n’est jamais dérangée dans ses chimères par aucun emportement sur les choses réelles, calculant ses rêveries comme on calcule ses affaires, et raisonnant, de sang-froid, l’absurdité.

« Il est venu déjeuner avec nous un certain M. Hervey, libéral subalterne…. Je remarquais ce goût pour l’arbitraire qui les suit dans toutes leurs plaintes contre le gouvernement. Il criait contre les missionnaires, disant : « Enfin, on ne les aurait pas soufferts, même sous l’ancien régime. — C’est bien pour cela, lui répondis-je, qu’il faut les souffrir à présent… » Ils s’irritent de ce que le roi ne donne pas des places de cour aux hommes de la révolution…

« Ils me tourmentent, disait l’autre jour Benjamin Constant, pour savoir si le roi est sincère : que diable cela vous fait-il ? Le roi est-il votre maîtresse ? Un de ces jours ils se tueront comme Werther, parce qu’ils doutent de sa sincérité et de sa tendresse. » Victor est fort content de la séance d’hier dans la commission du jury. Il a gagné qu’on retrancherait l’interrogatoire des accusés ; il espère que la loi sera bonne.

« M. Guizot m’a dit qu’il est fort inquiet des affaires européennes ; que les souverains s’étaient exprimés très-mal sur la France, surtout l’empereur Alexandre. Toute cette manœuvre de la censure générale est dirigée comme une batterie contre nous. »


« 2 octobre. — L’inquiétude sur les affaires de l’Europe est très vive. Ce tribunal d’inquisition, établi à Mayence, semble dirigé contre la France. Cependant les souverains ont évité d’en prononcer le nom. Ce qu’on craint ici, c’est qu’ils ne fassent quelque proposition au roi d’accéder à cette alliance et de changer son ministère. L’empereur Alexandre a dit : « Il faut tirer un cordon autour de la France et élever des barrières entre elles et l’Europe ; c’est un pays qui a la peste. » Sa conduite est pitoyable ; tous ses bons sentimens n’ont été que des fantaisies.

« C’est une mode que la déconsidération du ministère. La déraison au dedans et la crainte au dehors rendent la position très critique. La France n’est pas en état de soutenir une guerre.

« Grégoire nous a envoyé sa justification qui ne justifie rien ; mais Auguste lui a répondu en l’engageant à donner sa démission par des motifs d’intérêt public.

« La marotte de nos libéraux, c’est l’économie ; ils ne voient dans la liberté qu’une soupe économique.

« M. Decazes est fort triste. Madame a baptisé hier son enfant tout en grognant. M. Decazes n’a d’opinion ni pour ni contre la liberté ; son goût serait plutôt pour un pouvoir arbitraire, dont il userait avec douceur et raison ; mais, en même temps, il a un