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l’un, tantôt chez l’autre, s’étant introduit depuis quelque temps, le ministère Richelieu ferma les yeux, et, plus tard, le ministère Dessolle, auquel nous donnions un bon coup de main dans la grande discussion sur la presse, nous protégea ouvertement.

Tout alla bien tant que le ministère Dessolle lui-même alla bien ; mais dès qu’il se divisa, la société en fit autant ; nous y étions en minorité, mes amis et moi, le cas n’était pas rare pour des doctrinaires ; nous cessâmes de la fréquenter ; d’autres prirent nos places ; notre opinion sur la réforme électorale y fut attaquée avec la dernière vivacité ; attaqués furent, du même coup, M. Decazes et M. de Serre, lesquels, trouvant qu’ils avaient sur les bras assez d’embarras inévitables sans en conserver de gratuits, firent signifier à la société de cesser ses réunions sous peine d’être poursuivie juridiquement.

Là-dessus, grand fracas, grande rumeur, serment de résister jusqu’au martyre, tout le cortège des démonstrations obligées en pareille occurrence. Je fus sommé de vive voix de m’expliquer, d’avoir à répondre sur la conduite à tenir. Je répondis très simplement qu’il ne pouvait y avoir deux avis ; que, la société n’étant point en droit légal d’exister dès que la tolérance dont elle avait été l’objet lui était retirée, il ne lui restait plus qu’à se soumettre, sauf à réclamer par les voies légales contre le maintien de l’article 291 du code pénal. Je fus sommé de faire imprimer ma réponse ; je le fis en quelques lignes, et j’attendis sans sourciller la bordée d’injures et de récriminations que tous les journaux libéraux épuisèrent à l’envi sur moi.

En toute autre circonstance, je ne m’en serais guère préoccupé, mais dans celle où nous étions placés, ce surcroît de déchaînement rendait ma position’ personnelle plus critique et la conduite que j’avais à tenir plus difficile. Le ministère entrait en dissolution ; M. Dessolle, M. Louis, le maréchal Saint-Cyr, se retiraient décidément ; force était de les remplacer, force était de constituer un nouveau ministère dont la réforme électorale (je me sers de ce mot pour abréger) fut le mot d’ordre et la raison d’être. Des ouvertures furent adressées à plusieurs personnages, ou, pour parler plus modestement puisque j’en étais, à plusieurs personnes, entre autres à M. Royer-Collard, à M. Mollien et à moi-même. J’ai assez connu M. Royer-Collard pour affirmer que, dans aucun cas, sous aucun régime, il n’aurait accepté le ministère. Ses grandes qualités et ses petits défauts lui rendaient, presque au même degré, la responsabilité insupportable ; mais il avait, cette fois, une excellente raison pour refuser. S’il était d’avis de modifier la loi des élections, il était décidément contraire au plan proposé par M. de Serre et M. Decazes. J’étais exactement dans la position inverse. J’étais