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fait une mauvaise affaire, puisqu’ils ont pu vendre tous les ans au gouvernement fédéral pour 140 à 150 millions de francs de produits de leurs mines argentifères. Rarement on a vu, même aux États-Unis où ces sortes de choses ne sont pas faites pour étonner, une coalition des préjugés politiques, des passions départi et des intérêts particuliers aboutir au profit de ces derniers à d’aussi merveilleux résultats.

Mais ce n’était pas tout, pour le trésor, de fabriquer la nouvelle monnaie; le difficile était de la faire entrer dans la circulation. Toutes les ressources de l’adresse la plus ingénieuse y ont été appliquées sans succès. Il arriva qu’après avoir tant réclamé par la grosse voix de l’opinion publique et des politiciens la restauration du « dollar de nos pères, » la population, même dans l’Ouest, fit un très froid accueil aux belles pièces sortant neuves des hôtels de monnaie, et les trouva ce qu’elles étaient réellement, lourdes, incommodes, encombrantes, leur préférant de beaucoup pour l’usage quotidien même les affreuses petites coupures, maculées et déchirées, du papier-monnaie fédéral. L’énergie des revendications populaires en faveur de la monnaie d’argent avait été une affaire de sentiment. L’esprit pratique de l’Américain recouvrant ses droits, force fut au trésor de garder ses dollars, dont personne ne voulait.

Pendant les premières années, l’inconvénient fut peu sensible; les budgets fédéraux se soldaient chaque année par des excédens énormes, atteignant 750 millions de francs en 1881, 650 en 1882. L’or affluait dans les caisses du gouvernement. Le 1er janvier 1879 la reprise des paiemens en espèces s’était effectuée sans la moindre difficulté. Les remboursemens de la dette publique se succédaient rapidement, toujours en or, et le crédit fédéral était en hausse constante. Qu’importait, dans ces conditions, que la nation américaine consacrât tous les ans une faible partie de ses excédens, 25 millions de dollars, à la fabrication d’une monnaie qui s’entassait ensuite, inutile, dans les caves des bâtimens du trésor?

Toutefois, lorsque le monnayage, à la fin de 1882, atteignit 100 millions de dollars, et qu’il fut constaté qu’il était à peine entré 25 pour 100 de ce montant dans la circulation, les préoccupations relatives aux conséquences de la loi Bland commencèrent à se réveiller. La situation n’a fait qu’empirer depuis. Comme les droits de douane à l’importation sont payables en argent ou en certificats représentatifs de la monnaie d’argent, aussi bien qu’en monnaie d’or ou en certificats d’or, les dollars argent ont évincé peu à peu de l’encaisse du trésor le métal le plus précieux. A la fin de 1884, cet encaisse comprenait 133 millions de