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que le gouvernement a été bien ombrageux, que les intentions de l’accusé n’étaient pas si noires, et que la liberté des discussions politiques a été la plus précieuse conquête de 1789. Jules Favre ne permet pas au jury, du moins dans la première période de sa vie, de se faire illusion sur les intentions des écrivains ou sur la nature des faits incriminés : il semble plutôt vouloir l’acculer, tant il met le délit en relief ! Il n’excuse pas son client, il le glorifie. Ainsi, quand le Précurseur comparaît devant le jury du Rhône, il reproche sans détour au premier ministre d’avoir acquis une réputation semblable à celle du consul romain Céthégus, qui, dans la guerre des Gaules, fit enlever par des soldats apostés un convoi d’or destiné à la république. Singulière façon, on en conviendra, de défendre un journaliste prévenu d’excitation à la haine et au mépris du gouvernement! Dans la même affaire, il compare Louis-Philippe à Tibère, et la ressemblance lui paraît si frappante qu’il reprend ce parallèle dans sa plaidoirie pour Laure Grouvelle (23 mai 1838). De même, dans le plaidoyer pour le Courrier de l’Eure, prévenu d’excitation à la haine et au mépris du gouvernement (13 décembre 1841), non seulement il dénonce « les lâchetés du pouvoir » et revendique pour la presse « le devoir d’exciter à la haine et au mépris d’un gouvernement » odieux et méprisable, mais il dépasse, dans ses attaques contre la personne de M. Guizot, la violence même du journal.

Jules Favre n’est pas tout entier dans ces sauvages ardeurs. Aux témérités d’une jeunesse exubérante succède insensiblement une éloquence moins âpre et moins agressive, qui se complaît dans les aperçus généraux et plane dans les grands horizons. C’est ainsi que, dans le quatrième procès du National, il trace pour la première fois, avec une remarquable ampleur de style, une ligne de démarcation entre ses amis politiques et « quelques misérables ramassés dans les cabarets où la police laisse librement prêcher de sauvages doctrines. » Tel est, dans l’affaire de la Démocratie pacifique, le tableau comparé des « satisfaits » et des réformateurs : les uns, vrais favoris de la destinée, qui semblent entrés dans la vie par la porte d’ivoire, les autres qui se livrent avec un zèle généreux à l’étude des misères sociales, qui en veulent trouver le remède et qui, après l’avoir découvert, fatiguent les pouvoirs et le monde de leurs avertissemens et de leurs prédications, qu’on ne saurait enfin méconnaître sans accuser de folie tous les siècles écoulés dans lesquels sont demeurés à jamais les grands noms de Socrate et de Jésus-Christ. Tel est encore, dans un autre procès de presse jugé le 12 mai 1851 par la cour d’assises du Lot, le parallèle entre le christianisme et le socialisme, parallèle à la mode après la révolution