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parlant aux députés. Il n’est jamais, pour le lecteur, au-dessous de lui-même, quand il rappelle aux jurés de 1830 soit les services que la dynastie capétienne a rendus à la France, soit les seize années de repos et de prospérité que le pays doit à la restauration. Un jour, il défendait la Quotidienne, accusée d’attaque aux droits que Louis-Philippe tenait de la nation et contre l’ordre de successibilité au trône (février 1837) ; il raconte ainsi la dernière révolution : « En 1830, Charles X abdique ; derrière lui était un homme, son fils, sur la tête duquel vint se placer la couronne. Son fils abdique à son tour. Alors un homme, le duc de Bordeaux, se lève et dit : Je suis roi. » l’effet fut immense : l’orateur avait tout dit en deux mots, et, par une image aussi simple que saisissante, démontré tout ce qu’il voulait établir. « Quoi ! disait-il encore, défendant le même journal devant la même cour d’assises (avril 1836), on aurait, en France, été tour à tour enthousiaste républicain, fanatique d’un règne de gloire, dévoué aux vertus d’une restauration pacifique et libérale, et il ne resterait rien de cela, et tout sentiment, tout souvenir, tout regret seraient anéantis, parce que l’éclair de juillet a passé en grondant sur la France ! » l’éclair de juillet ! le Berryer des procès politiques est tout entier dans ce mot inexorable. Il excelle particulièrement à mettre cette monarchie nouvelle dans une situation fausse, lui reprochant tantôt de répudier sa propre origine, lorsqu’elle voulait étouffer la liberté de la discussion, tantôt de méconnaître un principe dont elle ne pouvait se détacher à son tour, lorsqu’elle prétendait empêcher les feuilles publiques de défendre et de revendiquer la loi de l’hérédité. Il retournait contre les vainqueurs leurs propres armes et redressait devant la révolution son auguste cliente, l’antique royauté française, qu’elle venait d’abattre une seconde fois sur le sol français.

La plus complète de toutes ces plaidoiries, telles qu’elles nous sont aujourd’hui transmises, est celle que Berryer prononça, le 17 décembre 1857, devant la cour d’assises de l’Eure, lorsqu’il y défendit Mme et MM. de Jeufosse, accusés d’assassinat. L’ordonnance générale du discours est remarquable et l’exécution est à peu près irréprochable dans ses détails : ni faux ornemens, ni « longueries d’apprêt. » beaucoup d’aisance, une élévation de sentimens et de langage rehaussée par je ne sais quoi de naturel et de simple qu’on ne rencontre pas dans les œuvres des plus grands maîtres, une peinture exquise des passions qui ont agité successivement la victime et les accusés. Avec quel art il démontre qu’une jeune fille, en proie au premier trouble, aux premières émotions de son cœur, n’a pu recevoir tant de lettres et ne pas répondre une seule fois ! Comme il réplique à l’avocat de la partie civile, invoquant,