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droit de tout dire... Quand, s’appuyant sur le mensonge et la fraude, un plaideur essaie d’égarer la justice, songez bien qu’en devenant les organes de sa prétention, vous vous faites les complices de sa déloyauté... Ce n’est pas seulement dans les affaires civiles que cette réserve vous est commandée ; vous devez l’observer aussi dans les causes criminelles. On vous dira qu’il est beau de défendre un accusé, de le rendre à sa famille. En face de cet intérêt qui vous sollicite et vous implore, vous ne trouvez pas, je le sais, cet intérêt contraire, actuel, immédiat, qui réclame près de vous et soulève vos scrupules dans les affaires civiles. Mais vous trouvez l’intérêt de la société dont on fait, je crois, trop bon marché aujourd’hui. N’est-ce rien que la cause des gens de bien luttant avec le secours des lois heureusement adoucies contre toute l’habileté et toute l’audace des malfaiteurs? Que vos efforts, votre talent, votre ministère ne servent pas à rejeter dans le monde un coupable dont les nouveaux crimes seraient votre ouvrage, dont l’impunité scandaleuse deviendrait pour d’autres un encouragement et pour la société un fléau ? » Admirable enseignement, surtout quand on le reçoit d’un avocat ! Les stoïciens, on le voit, sont bien dépassés, et Cicéron, s’il avait assisté, le 2 décembre 1843, à la conférence du stage, aurait complété son éducation.

La première conséquence à tirer de telles prémisses, c’est qu’il ne faut pas s’adresser aux jurés comme un démagogue parle au peuple. Il ne déplaît pas toujours au jury, sinon à Paris, du moins dans quelques petits chefs-lieux de cour d’assises, de recevoir un encens assez grossier. Il aime à s’entendre dire que, si les tribunaux ordinaires sont asservis à certaines règles, il est, tout au contraire, au-dessus des lois. Il s’en faut assurément que tous les avocats lui tiennent ce langage, mais il s’en faut aussi, pas un membre du barreau ne me démentira, qu’on ne le lui tienne jamais. On connaît ce mot de Michel (de Bourges) : « Si j’ai le jury pour complice, je me passerai parfaitement de l’approbation de la cour. » Jules Favre. mûri par la pratique des affaires publiques et privées, recommandait au jury de l’Afrique française, peu de temps avant sa mort, le respect et l’exécution des lois. Mais le même homme avait dit au jury du Rhône, le 25 mars 1833 : « Planant au-dessus des lois par votre omnipotence, vous ne vous laissez point égarer par des textes subtils, etc. » Lachaud, défendant Marie Bière, termine son discours par un appel tout aussi dépouillé d’artifice à la même « omnipotence. » Berryer recourt au même procédé dans un certain nombre de ces plaidoiries brûlantes qu’il prononça dans des procès de presse après la révolution de 1830 : « Je m’en rapporte à vous, — disait-il au jury, dans le procès dirigé contre Chateaubriand à propos de la célèbre