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un concert de protestations, y fut accueillie avec une certaine faveur.

Quant au jury de la Péninsule, l’ancien ambassadeur avait beau jeu. On comptait, paraît-il, seulement pour 1874, plus de cinq mille procès contre des témoins défaillans. Il avait encore fallu poursuivre un très grand nombre de gens aisés, qui traitaient, sans scrupule, avec les accusés ou leurs représentans pour éviter, au moyen de récusations, l’ennui de participer aux travaux du jury. A côté des jurés riches, les jurés mendians, bien plus nombreux, qui, laissant leur famille dans l’embarras, réclamaient piteusement un salaire aux communes, aux provinces, à l’état et ne parvenaient pas à se faire écouter. Ceux qui s’étaient résignés à siéger n’avaient pas été plus prêts à faire leur devoir. Le gouvernement venait de consulter les cours d’appel et l’académie espagnole des sciences morales et politiques. La cour de Valence avait répondu que, dans les procès instruits contre des personnes influentes, lors même qu’il s’était agi des délits les plus graves, il y avait toujours eu des acquittemens. Celle de Séville dénonçait des verdicts extravagans : par exemple, l’absolution d’un accusé coupable d’avoir tué un homme qui fuyait devant lui, sous prétexte que la fuite de sa victime l’avait mis en état de légitime défense. Quant à l’académie, elle s’était prononcée à l’unanimité moins une voix contre le rétablissement du jury. Nous le concevons sans peine.

Nous avons, au contraire, des réserves à faire sur cette autre partie de la brochure où il est traité du jury, pris en lui-même. Ce n’est pas que l’institution n’ait ses mauvais côtés et que don Silvela ne l’ait habilement attaquée dans ses points vulnérables. Il est difficile d’imaginer un plus fin morceau d’éloquence que sa réponse au professeur slave Wladimirof, soutenant à outrance l’excellence du jugement par les jurés, parce que le jury, dit-il, est généralement composé de médiocrités. Personne n’a plus agréablement raillé Lieber, aux yeux duquel le jury est avant tout une grande école pour les jurés, comme si l’on n’allait pas à l’école pour apprendre ce qu’on ignore, tandis qu’on doit aller au palais de justice pour faire profiter les autres de ce qu’on sait ! Cette thèse de l’illustre publiciste allemand amène don Silvela à établir entre la garde nationale et le jury un ingénieux parallèle, le juré ne lui paraissant pas être « autre chose que le garde national du droit. » Cependant, il est bien forcé de rendre hommage au jury de l’Angleterre, où « ce jugement des pairs, par un effet du caractère essentiellement discipliné de la race, s’est enraciné dans le sol, » et d’absoudre, au-delà de la Manche, les défenseurs de cette institution « sanctionnée par la force immense d’une tradition constante. » Le jury français, sans mériter cet excès