Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/594

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou des Gobelins qu’un hasard a préservée des morsures de la lumière, quelle joie n’éprouvons-nous pas à y voir retentir, sans notes brisées et sans sourdine, l’accord éclatant des couleurs franches et pures? Ceux même des peintres qui visent aux effets de tapisseries nous semblent donc se tromper en fanant d’avance leurs modèles. Dans des compositions étudiées et non dépourvues de style, comme le Jugement de Paris, de M. Meynier, et la Vertumne et Pomone, de M. Urbain-Bourgeois, il ne nous déplairait point de voir plus de décision dans le modelé et dans la tonalité. M. Mazerolle, à cet égard, se rapproche de la vérité dans ses panneaux du Dépit amoureux et du Misanthrope, où d’ailleurs une gamme moins joyeuse eût attristé l’ombre de Molière. En somme, la pondération dans les lignes et le charme dans les couleurs sont deux qualités essentielles à toutes les peintures décoratives. Quand la peinture décorative est en même temps une peinture d’histoire, elle y doit joindre la précision des formes et l’intérêt de la composition.

C’est pourquoi ce système bâtard qui consiste à mêler volontairement le moderne et l’antique en affublant de noms historiques des comparses contemporains, sous prétexte de rajeunir le passé ou d’ennoblir le présent, nous paraît de tous points condamnable; nous n’avons plus, pour faire une pareille confusion, la naïveté des vieux génies qui l’ont commise. Rien n’est plus fait pour gêner l’imagination et la main du peintre dans la liberté qui leur est nécessaire. Qu’on traite un sujet antique, qu’on traite un sujet moderne, il y faut, aller à fond, sans regarder ailleurs ; on n’a pas trop de toutes ses forces pour en tirer quelque chose. Croit-on, par exemple, que MM. Emile Lévy et Comerre, deux hommes éprouvés et sérieux, ne se seraient pas trouvés plus à l’aise dans les mairies des IVe et VIe arrondissemens s’ils avaient donné franchement à leurs figures soit l’aspect antique, soit l’aspect moderne, soit l’aspect décoratif? Non, ils ont sacrifié à la mode du jour, ils ont mêlé les souvenirs classiques avec les exemples réalistes, Pompéi et Millet, l’Italie et Montmartre, le pétase des bergers d’Arcadie et la capuche des maraîchères de la banlieue ; ils ont voulu donner aux manteaux à la mode des airs de toges et aux marmots parisiens des mines de petits sylvains ; leurs paysages, effacés ou compliqués, ont la même incertitude, n’ayant aucun courage, ni celui d’être français, ni celui d’être italiens, ni celui d’être purement imaginaires. Cet éclectisme ne leur a pas porté bonheur, comme il ne portera bonheur à personne, et c’est vraiment dommage ! M. Emile Lévy, le fin portraitiste que l’on sait, montre, dans l’arrangement, l’expression, les colorations de ses aimables figures, toujours soigneusement dessinées, une délicatesse de sentiment et