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nombre de voix sur Benjamin Constant à Paris. L’alarme prit aux souverains alliés, avant que l’encre de leur signature aux nouveaux arrangemens fût séchée ; elle gagna M. de Richelieu lui-même, qui revint à Paris, ayant pris, sinon tout à fait avec les souverains alliés, du moins avec lui-même, l’engagement de changer la loi des élections.

Il arriva le 28 novembre. Son intention était connue à Paris, et son ministère, à ce sujet, était partagé : d’un côté M. Laine, M. Mole et M. Pasquier ; de l’autre M. Decazes et le maréchal Saint-Cyr ; entre deux, M. Corvetto, qui n’aspirait qu’à se retirer et profita de la première apparence de division pour céder la place à M. Roy. Le public était dans l’anxiété. La chambre des pairs inclinait vers le sentiment de M. de Richelieu, la chambre des députés y résistait, et ses premiers choix, à l’ouverture de la session, qui eut lieu le 10 décembre, ne laissaient aucun doute à cet égard. J’étais moi-même de retour à Paris depuis quelque temps, et je partageais vivement l’inquiétude générale. La loi des élections était l’œuvre, à coup sûr, et passait alors pour le chef-d’œuvre du parti doctrinaire. J’y étais pour quelque chose ; nous pensions d’ailleurs, et cela sans doute était vrai dans une certaine mesure, qu’abandonner la loi des élections, c’était abandonner la politique du 5 septembre et se jeter dans les bras du parti rétrograde.

La crise ministérielle commença dès le 9 novembre et se prolongea jusqu’au 28 décembre, à travers des vicissitudes ordinaires en pareil cas, mais auxquelles je ne pris personnellement aucune part. A la fin, la chambre des députés l’emporta, et le 29 décembre le Moniteur enregistrait, dans sa première colonne, un nouveau ministère, qu’on a depuis nommé, et non sans raison, le ministère doctrinaire, bien qu’il ne comptât dans ses rangs qu’un seul des chefs de ce parti : le parti lui-même en était le nerf et la pensée ; c’était lui qui triomphait. M. le général Dessolle succéda à M. de Richelieu, M. Decazes à M. Lainé, M. Portal à M. Molé, M. de Serre à M. Pasquier et M. Louis à M. Roy. L’avènement de ce ministère ayant fait époque dans l’histoire politique de la restauration et dans ma propre vie politique, j’en parlerai avec quelques détails dans le chapitre suivant. Aussi bien, il entrait en fonctions le jour du nouvel an.


II

Je l’avouerai sans détour et sans ménagement : si cet écrit devait tomber jamais sous les yeux de mes amis politiques, peut-être m’en sauraient-ils mauvais gré ; s’il devait tomber sous les yeux de nos communs adversaires, ils s’en montreraient peut-être