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La mère Thérèse les fit revenir sans même un verre d’eau. Quelques écrivains religieux ont vu là un miracle; je ne crois pas, pour ma part, aux miracles inutiles. Les mutines lassées rentrèrent enfin dans leurs cellules et les gentilshommes se dispersèrent, n’osant vraiment pas venir étrangler la prieure dans sa stalle; mais la sédition n’était point terminée. Il fallut à la « petite femme, » pour mater ces enragées, une dépense incroyable de diplomatie, de bonne grâce et de patience. Elle se garda de trop exiger à la fois, supprima un jour la guitare et un autre jour le clavecin, substitua peu à peu des cantiques aux romances et aux boléros, réforma les guimpes et les coiffes en commençant par les « vénérables » et les « anciennes, » à qui peu importait, obtint par degrés l’exil des jolis meubles, raccourcit les séances au parloir et s’imposa d’y suppléer en amusant les sœurs. Ce n’était point facile, mais la mère Thérèse était une sainte d’esprit, et l’on a beau dire, l’esprit, cela sert toujours, même pour être saint. Elle fut si délicieuse que les plus aigres n’y purent résister. Les gentilshommes furent plus tenaces. Ils venaient en bande demander leurs amies et criailler à la grille. Un beau jour la mère Thérèse parut et les menaça du roi. Ils s’en allèrent et ne revinrent plus.

L’affaire de l’Incarnation fit du bruit. La réforme devenait populaire à cause de ses excès, que la réformatrice essayait en vain d’empêcher. Les déchaux se livraient à des macérations barbares, les carmélites ruinaient leur santé, les cloîtres s’emplissaient d’extases et de visions, et le peuple espagnol, lorsqu’il apercevait les grands manteaux blancs et les voiles noirs, ressentait une émotion que sainte Thérèse décrit en ces termes lors de son arrivée à Cordoue : « On eût dit, au tumulte de la foule, qu’il s’agissait d’une entrée de taureaux. » Pour qui connaît l’Espagne, c’est une évocation. On entend le cri : Los toros ! devant lequel chacun fuit, grimpe, disparaît. On voit passer au grand trot les superbes animaux destinés au combat du lendemain. On a devant les yeux l’expression de tendresse féroce avec laquelle le peuple contemple leurs cornes aiguës et leurs corps vigoureux, calculant combien ils éventreront de chevaux et supporteront de blessures avant de mourir. Et l’on comprend ce qui plut à cette nation farouche dans ces moines et ces religieuses qui s’enfonçaient des pointes de fer dans le corps, couchaient sur des ronces, ne dormaient ni ne mangeaient, avalaient de la vermine et pis encore. La mère Thérèse était effrayée de ces excès, elle qui ne cessait de prêcher la modération. Mais le peuple aimait déchaux et déchaussées comme il aime les toros, qui vont panteler devant lui.

Cependant les mitigés s’inquiétaient, sentant bien qu’ils seraient