avoir ouvert une maison religieuse sans son autorisation. doña Thérèse se défendit en digne élève de la mère Marie-de-Jésus. Aucun homme de loi n’osait s’employer pour elle. Elle fut son propre homme de loi, se démêlant au milieu des exploits et sommations, et ripostant par le moyen d’un bon abbé, qui portait ses papiers. Elle en trouva un autre qui consentit à aller plaider sa cause au conseil du roi, à Madrid. Elle fut patiente, tenace, habile, lutta sept mois contre Avila, gagna son procès et rentra en triomphe à Saint-Joseph, rompue désormais aux affaires; ce n’est pas elle qu’on prendra jamais à signer un acte mal fait ou à payer plus de droits qu’elle n’en doit.
La réforme qu’elle introduisait, et qu’elle compléta peu à peu, s’étendait à tout. Sous sa règle, un couvent de carmélites devenait un lieu nu et silencieux où l’on a faim et froid, où l’on se fouette à saigner, où les genoux font mal et la tête tourne à force de prier, où l’on renonce à sa volonté, à son jugement, à ses affections, où l’on est séparé de tout, sevré de tout, mort à tout, où votre prière même ne vous appartient pas : elle sert à sauver les âmes des autres, dût la vôtre, après tant de sacrifices, tant de souffrances, tant d’angoisses, être abandonnée, perdue, précipitée jusqu’au jour du jugement dans les tourmens et les larmes. Cette dernière exigence paraît d’abord féroce. C’est elle pourtant qui fait la grandeur de la conception de sainte Thérèse. Sans elle la religieuse n’est pas à l’abri du soupçon d’égoïsme ; nous voyons tous les jours le monde juger sévèrement la fille qui, selon lui, tourne le dos aux devoirs de la vie pour aller dans le cloître travailler en pleine confiance à son propre salut. Grâce à elle, l’incroyant n’a qu’à s’incliner. Sainte Thérèse savait bien que ce qu’elle demandait là était plus difficile qu’aucune macération et elle a des pages énergiques sur les « certaines personnes à qui il paraît fort dur de ne pas prier beaucoup pour elles-mêmes. » En revanche, elle laissait à ses religieuses la seule liberté vraiment précieuse pour un ordre contemplatif : la liberté dans la vie spirituelle ; ses carmélites s’arrangeaient avec le ciel comme elles l’entendaient et changeaient à leur gré de confesseur et de directeur.
Sa bonne humeur et ses instincts de ménagère faisaient contre-poids aux excès d’une règle qui devient aisément terrible. Saint-Joseph s’était peuplé et n’était guère riche. La mère Thérèse (on l’avait nommée prieure) communiqua à ses religieuses un peu de sa passion pour balayer, ranger, raccommoder, fricasser. Elle leur expliquait que Dieu se tient tout autant à la cuisine, « au milieu des plats et des marmites, » qu’à la chapelle, et leur montrait à nettoyer les ordures « avec amour-propre. » Elle voulait bien qu’on