Sœur Thérèse avait, des pieds à la tête, des douleurs si atroces, qu’il lui semblait être « déchirée par des dents aiguës, » et qu’on la crut enragée. Les médecins n’y connaissaient rien, sinon que les nerfs y jouaient un grand rôle. Une dernière crise la laissa privée de sentiment, le corps tout tordu. Elle revint à elle au bout de quatre jours. « Ma langue, écrit-elle, était en lambeaux à force d’avoir été mordue... Je sentais tout mon corps comme disloqué, et ma tête dans un désordre extrême. Mes nerfs étaient tellement contractés, que je me voyais en quelque sorte ramassée en peloton. » Il lui resta de cet assaut une paralysie qui ne disparut qu’au bout de plusieurs années et diverses infirmités pénibles qui ne la quittèrent jamais et dont ses futurs couvens profiteront; elle aura sur l’hygiène, sur les relations entre le corps et l’esprit en général et, en particulier, entre certains phénomènes de haute spiritualité et les excès de jeûnes et de veilles, des idées que ne désavouerait pas un de nos physiologistes modernes.
Don Alphonse mourut en 1541, soigné par sa fille. Il avait passé ses dernières années dans une grande intimité avec elle, de plus en plus frappé du jugement et de la capacité qui se développaient chez cette petite nonne, au fond de sa cellule, et prenant l’habitude de la consulter sur tout. Elle eut un chagrin violent de sa mort. « Je sentais mon âme s’arracher de mon corps, » dit-elle en décrivant l’agonie de son père.
Insensiblement, l’existence que Thérèse menait à l’Incarnation arriva à lui faire honte, et il est véritable que c’était une existence insipide. On ne voit pas qu’elle ait eu rien de grave à se reprocher. Elle s’accuse amèrement, dans sa Vie, d’avoir eu en dégoût les exercices de piété et d’avoir pris trop de plaisir à la conversation d’hommes distingués. Il n’y avait pas là de quoi remplir de remords une fille qui s’est toujours targuée de « ne s’embarrasser pas pour des riens, » et de laisser aux sots les sots scrupules. D’autre part, quand elle considérait à quoi avaient abouti les nobles ardeurs et les grands rêves du début, ce qu’ils avaient produit en fin de compte, il n’y avait pas de quoi la contenter. Ce n’était pas précisément mal ; c’était bien peu de chose. L’Incarnation était parmi les couvens où la décence était à peu près gardée et la dissipation médiocre : rien de plus. La louange semblait mince à ce cœur haut et ambitieux, et, lorsqu’elle regardait au dehors, son désappointement se changeait en indignation.
Il est d’usage de se récrier sur le relâchement des anciens couvens de femmes. Sans prétendre les justifier, il nous semblerait juste de ne pas perdre de vue que les couvens étaient devenus, par la force des choses, une institution sociale autant que religieuse. Il est déraisonnable