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XVIe siècle n’avaient même pas besoin de regarder vers le Nouveau-Monde pour le retrouver. Ils y vivaient en plein, ils s’y baignaient. La moisson de saints qui avait levé sur leur sol les enveloppait dans une atmosphère de visions et de miracles. Le merveilleux était devenu le surnaturel, les magiciens s’étaient métamorphosés en saints, et l’imagination populaire ne distinguait pas bien les uns des autres, à tel point que le souci des âmes et « de la doctrine sainte, véritable et chrétienne » était au fond de la pétition des cortès contre Amadis et ses pareils. Comment, en effet, se démêler dans les prodiges ?

Les enfans de Cepeda mirent parfaitement en action, pour leur compte, leurs lectures de jeunesse. Les garçons s’acquittèrent avec éclat de la partie des aventures et des batailles. Ferdinand prit part à la conquête du Pérou, montra une valeur brillante, et reçut de grandes possessions dans le pays conquis. Rodrigue fut tué en combattant sur les bords du Rio de la Plata. Pierre se battit en tête brûlée et revint l’esprit tout à fait détraqué. Augustin fut un grand homme de guerre; il gagna dix-sept batailles sur les Chiliens et fut fait gouverneur d’une place importante du Pérou. Tous les autres furent de vaillans soldats, de bons chrétiens et des hommes intègres. Quant aux trois filles, Marie et Jeanne se contentèrent d’être des personnes vertueuses, qui se marièrent à de bons gentilshommes et vécurent dans une grande piété; mais Thérèse se chargea de nourrir sa génération de merveilleux ou, si l’on aime mieux, de surnaturel.


II.

Thérèse de Ahumada était parfaitement bien faite et marchait comme une déesse. Elle avait le beau teint mat des pays du soleil, la peau fine et blanche; elle rougissait facilement. Ses cheveux noirs frisaient sur un grand front intelligent. Ses yeux, très noirs aussi, étaient un peu trop ronds et trop à fleur de tête, mais étincelans d’esprit, vifs, expressifs, de ces yeux jaseurs et rieurs qui disent tout. Ils étaient surmontés de deux sourcils en coup de sabre, point arqués, qui achevaient d’éclairer la physionomie. Le nez était banal, petit et rond ; la bouche plutôt mal que bien ; la lèvre inférieure pendait un peu. Mais les dents étaient superbes, le sourire franc, et trois petits signes, coquettement posés par la nature sur la joue gauche, donnaient un piquant adorable à cette jolie tête radieuse.

Elle avait la voix douce, les mouvemens souples, des mains de race, longues, fines et blanches, qu’elle soignait beaucoup. Elle rappelait