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sexes que les ouvrages de dévotion recommandent à la vénération des fidèles, toute une légion de figures originales et hardies. En voyant quelle sorte de femme était une sainte Thérèse, le lecteur profane sentira peut-être qu’en dehors de toute idée religieuse, quelque chose s’est perdu, un rien, une petite étincelle, qui rendait le monde plus pittoresque et la vie plus intéressante. Pour des raisons qu’il est aisé d’entendre, nous laisserons en dehors de cette étude tout ce qui touche de près ou de loin aux miracles. Nous n’y ferons même aucune allusion. Ce sont là des matières où l’église romaine est le seul juge et, nous osons le dire, le seul intéressé. Elle est d’ailleurs elle-même encore divisée sur une partie au moins des points que nous nous interdisons de toucher[1].


I.

Sainte Thérèse naquit en 1515 à Avila, dans la Vieille-Castille. Il nous est facile de nous représenter le milieu où elle a grandi, car rien n’est changé, sauf que la ville dépeuplée est comme morte sur son rocher. Avila s’est conservée intacte, avec ses merveilleuses fortifications du moyen âge, ses murailles énormes, ses tours rondes en granit, ses neuf portes très hautes, sa cathédrale à mine de forteresse. La sierra de Gredos, aux crêtes pelées et aux immenses éboulis de pierres, qui domine la ville au sud, est toujours sans routes, à peine explorée, et habitée par des populations presque sauvages. On voit toujours dans les environs d’Avila, sur le sol hérissé de blocs de pierre, les grossières statues d’animaux taillées dans le granit, à une époque inconnue, par des artistes barbares. Sur ces paysages âpres pèse un dur climat; l’hiver est froid et long, et il n’y a pas de printemps.

Les Avilais étaient une race belliqueuse, qui avait soutenu pendant de longs siècles de continuels assauts. Un jour que les hommes étaient partis en expédition, l’ennemi survint. Les femmes coururent aux portes et aux remparts, nommèrent une commandante, Ximena Blasquez, et repoussèrent l’attaque. La ville reconnaissante conféra à Ximena, pour elle et ses descendantes, le droit de siéger et de voter dans les assemblées publiques. Le courage

  1. Voir l’Étude pathologico-théologique sur sainte Thérèse, par le père Louis de San, de la compagnie de Jésus (Paris. 1886; Fetscherin et Chuit). L’auteur s’y attache à réfuter un travail d’un autre père jésuite : les Phénomènes hystériques et les Révélations de sainte Thérèse, par le père Hahn, mémoire couronné à Salamanque. Le père Hahn concluait à l’existence, chez sainte Thérèse, d’une affection hystérique très prononcée, à laquelle il attribuait une partie des phénomènes étranges auxquels le père de San assigne, au contraire, une origine purement surnaturelle.