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honnête que la nôtre, la liberté de la discussion, pourvu qu’elle eût confiance dans le caractère de l’orateur, et qu’il fût assez maître de sa parole pour ne blesser ni les personnes ni les convenances. La chambre des députés elle-même, j’entends l’ancienne chambre, versée à grands flots dans la nôtre, par M. de Villèle, y mit de la bonne grâce et ne se fâcha point.

Je reviens à la loi sur la presse.

J’ai raconté en temps et lieu ce qui s’était passé dans notre chambre, à propos de la loi Peyronnet, connue sous le sobriquet de loi de justice et d’amour. j’ai rappelé que la commission préposée à l’examen de cette loi, commission dont j’étais membre, avait pris unanimement et de prime abord, deux résolutions décisives : la première, c’était d’écarter sans merci ni miséricorde le fond même de l’œuvre, son esprit, son plan, sa tendance, en n’en gardant tout au plus que l’intitulé, stat nominis umbra ; la seconde, c’était de lui substituer une loi nouvelle qui, tout en se montrant un peu plus efficace que la loi de 1819, respectât la réalité et la condition essentielle de la liberté de la presse. j’ai rappelé qu’étant alors le plus jeune, le plus actif et le plus versé en cette matière, des membres de la commission, c’était moi qui avais suggéré le plan, le cadre et les dispositions principales de la loi nouvelle, et que c’était précisément le succès de mes propositions, la crainte de les voir successivement adoptées, que sais-je même? car tout était possible dans ce moment de crise, la crainte de me voir nommé rapporteur qui définitivement avait déterminé M. Peyronnet à enterrer de ses propres mains son enfant mignon.

M. Portalis était membre de la commission comme moi ; il m’avait fort appuyé et fort approuvé. Devenu le garde des sceaux du nouveau ministère, et chargé, à ce titre, de réparer, en matière de presse, les iniquités du ministère Villèle, iniquités dont la loi Peyronnet n’était que le couronnement et la sanction, j’avais compté qu’il prendrait pour thème de son travail le projet qui nous était commun et, en cela, je ne m’étais pas trompé ; mais j’avais compté, en même temps, que je serais un peu consulté sur la conversion de ce projet en proposition définitive.

J’avais même, à vrai dire, porté plus haut mes prétentions ; il était assez fréquent, à cette époque, lorsqu’un projet de quelque importance était préparé, d’admettre à sa discussion, en présence du roi, ceux des amis du ministère sur lesquels il comptait pour le soutenir. Je me regardais comme en assez bonne position pour obtenir cet honneur. Il n’en fut rien. Le projet ne me fut pas communiqué; d’autres que moi furent appelés; je ne me souviens pas en ce moment de leur nom. j’en pris de l’humeur, assez mal à propos, car c’était méconnaître les difficultés de la position du ministère