Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/540

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dernière, à la liberté de la discussion. M. Petou attaquait, à grands cris, la violation du secret des lettres, et ce fameux cabinet noir que le ministère se voyait forcé de livrer à son mauvais sort, en déclarant un peu jésuitiquement qu’il n’existait pas. Du plus profond de la pure droite, M. de Conny, — l’un des aboyeurs de cette meute qui continuait, au dire de Benjamin Constant, à chasser le lièvre sur les bancs de la chambre, — M. de Conny exhumait, pour la cinq ou sixième fois peut-être, une proposition passée, depuis longues années, en force de lieu-commun dans les pays libres, proposition originairement introduite par M. de Villèle lui-même, au temps où, comme chef de l’opposition, il faisait flèche de tout bois, mais depuis jetée au feu par lui, avec le reste de sa défroque. Il s’agissait de soumettre à la réélection tout député promu, durant le cours de la législature, à quelque fonction rétribuée ; j’y reviendrai tout à l’heure.

Ce ne fut qu’au bout de quelques jours de cette mêlée que les esprits parvinrent à se rasseoir un peu, et que le courant des affaires reprit le dessus.

Vint en première ligne la loi sur la révision annuelle des listes électorales. Les manœuvres et les fraudes du ministère déchu, en fait d’élections, étaient contre lui sinon le plus gros des griefs, du moins le plus récent et le plus bruyant ; il était impossible de n’y pas mettre ordre. Le nouveau ministère s’exécuta de bonne grâce. La loi qu’il présenta le 25 mars était, sinon parfaite, du moins à bonne et sincère intention. Les amendemens que nous y suggérâmes, — je dis nous parce que, même à sa traversée dans la chambre des députés, j’y fus bien pour quelque chose, — ces amendemens, dis-je, furent hardis, efficaces et décisifs. Le ministère en fit son affaire à ses risques et périls, pour le présent et pour l’avenir : pour le présent, car peu s’en fallut que la loi ne fût compromise, dans notre chambre, timide de nature, et lardée de nouveaux-venus; pour l’avenir, car, en cas de dissolution, c’était brûler ses vaisseaux. M. de Martignac fit merveilles; tout le parti libéral, centre gauche et gauche, donna comme un seul homme, le centre droit se divisa dans les deux chambres, et dans la nôtre en particulier, nous dûmes, mes amis et moi, livrer bataille à fond.

Vint, en second lieu, la proposition d’un emprunt destiné à placer sur un bon pied notre attitude militaire en présence des éventualités que pouvait entraîner la rupture imminente entre la Porte et la Russie, rupture dont, au vrai, la cause indirecte mais originaire, était l’indépendance de la Grèce, et ce traité du 6 juillet où la France était non seulement partie contractante, mais moralement partie principale.

La proposition fut très favorablement accueillie dans les deux