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expliquer l’obscurité des premiers temps de sa vie politique autrement que par sa modestie ; j’ai ouï dire à ses amis qu’il était homme de plaisir et d’une faible santé. Ce qui est sûr, c’est que, devenu ministre à l’improviste et à son corps défendant, il porta le poids des affaires et de la responsabilité aussi gaillardement que l’ambitieux le plus prononcé, et qu’il y montra un degré de prudence et de fermeté bien rares; si le cours des événemens ne l’avait pas moissonné en moins de trois ans, il serait certainement devenu l’un des premiers hommes de notre temps et de notre pays. Ce que M. Royer-Collard avait dit, dans son discours à l’Académie française : « Camille Jordan, de Serre, Foy, nobles compagnons, illustres amis qu’une mort prématurée a ravis, à la fois, à la patrie et à vos suffrages, » un autre Royer-Collard aurait pu le dire, plus tard, à l’honneur de leur successeur.

Je ne dis rien de M. Roy; c’était le seul qui ne fût pas novice au métier; il avait été ministre des finances sous M. de Richelieu; d’un esprit court et sans portée politique, il était excellent pour ce qu’il était.

Je ne dis rien, non plus, de M. de Caux, ministre de la guerre, ni de M. de Saint-Cricq, ministre du commerce. Ce n’étaient que deux premiers commis instruits, intelligens, honorés pour leur probité et leur expérience. M. de Caux, général de bureau et de paperasses, qui, je crois, n’avait pas plus vu le feu que le feu maréchal Clarke, était si peu d’étoffe ministérielle qu’il avait consenti à livrer officiellement à M. le dauphin le personnel de son administration et même à laisser consigner cet abandon au Bulletin des lois dans l’ordonnance qui le nommait. La chambre des députés ne le souffrit pas. M. de Saint-Cricq était déjà président du bureau du commerce et des manufactures ; il ne fit que changer de titre, d’habit et de portefeuille rouge en entrant au conseil.

Restait à pourvoir au ministère de la marine et à celui des affaires ecclésiastiques.

Le bon M. de Chabrol s’était flatté que, pour prix de ses bons services, lesquels à tout prendre n’étaient pas mauvais, et des bons offices qu’il rendait à un bon maître, au moment critique il pourrait échapper au coup de vent qui avait fait couler la vieille barque, et même tendre un bout de câble à M. D’Hermopolis. Le roi le désirait fort; le nouveau ministère ne demandait pas mieux; l’ordonnance du 5 janvier admettait même officiellement à bail nouveau les deux échappés du naufrage, et, pour rendre la chose plus facile, détachait du ministère des affaires ecclésiastiques l’instruction publique, dont on entendait faire un département ministériel. Tout ceci semblait d’autant mieux que MM. de Chabrol et d’Hermopolis n’avaient point partagé le décri de leurs anciens collègues ;