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de portefeuille, les fins courtisans remarquèrent que M. de Chabrol sortit le dernier, puis revint dans la soirée une première fois, puis une seconde. Dès lors, le bruit se répandit au château et de là dans toute la ville que la crise avait abouti et que le coup était fait : je me sers de cette expression, vaille que vaille, l’ayant entendu employer par le maréchal Soult en pareille occurrence et à propos de lui-même. Il y fallait pourtant encore la façon, car toute la journée du 4 y passa, et ce fut seulement le 5 au matin que le Moniteur enregistra sous la rubrique ministérielle cinq noms et bientôt six, noms très honorables, que tout le monde, à Paris, connaissait très bien, mais à qui personne au monde ne pensait et qui, pour la plupart du moins, n’y pensaient pas eux-mêmes quelques jours auparavant.

Le premier sur la liste, c’était M. Portalis, ministre de la justice, digne héritier d’un nom déjà célèbre dans nos provinces du Midi, aux approches de la révolution, plus célèbre sous le Directoire, à titre de fructidorisé, titre honorable s’il en fut, tout à fait célèbre enfin aux beaux jours du code civil et du concordat, et qui, dans un temps et un pays d’oubli comme le nôtre, n’est pas encore tout à fait oublié. Je dis digne héritier et plus que digne, car, à mon sens, le fils était très supérieur au père, tant par l’étendue et la profondeur du savoir que par l’élévation des idées ; mais, par malheur, il ne lui ressemblait que trop sous d’autres rapports. C’était l’un de ces fonctionnaires à dos brisé tels que les font nos temps de révolution, propres à servir honnêtement et habilement toutes les causes, tous les partis, tous les gouvernemens, dans les limites de la probité privée et de la délicatesse sociale. Élevé en Allemagne durant la proscription de son père, rentré avec lui sous le consulat, partageant avec lui la faveur du premier consul, il était parvenu rapidement et très jeune encore au poste de conseiller d’état et de directeur général de l’imprimerie et de la librairie quand éclatèrent les démêlés avec le saint-siège en 1810 ; il s’y trouva compromis par sa proche parenté avec l’abbé d’Astros, grand-vicaire du diocèse de Paris. j’ai raconté en son temps la terrible exécution que l’empereur fit sur lui en plein conseil et dont je fus témoin oculaire. Cette aventure lui avait fait honneur et valu sous la Restauration la place de premier président de la cour royale d’Angers. La Restauration venue, il eut le malheur d’adhérer aux Cent jours et même de s’y compromettre en prenant le titre de colonel des fédérés. La Restauration ne lui ayant pas gardé rancune de cette équipée et l’occasion s’étant présentée pour lui de rendre un très véritable service en négociant à Rome, avec beaucoup de dextérité et de tenue, la révocation du très sot concordat de 1817, nous l’avions vu avec plaisir arriver à la chambre des pairs ; c’était à