Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/530

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quant à moi, ai-je ajouté, je ne pourrais accepter qu’autant que j’y verrais un devoir clair et positif.

— Ni moi non plus, m’a-t-il dit; j’en ai autant et peut-être plus d’effroi et d’aversion que vous.

— Je ne m’engage à rien, lui ai-je dit en le quittant.

— Je ne demande pas, m’a-t-il répondu, que vous vous engagiez à rien. Je demande seulement que vous sachiez que je n’entrerai pas sans vous.

« Voilà où nous en sommes restés. j’espère encore n’avoir point à prononcer entre l’acceptation et la responsabilité d’avoir fait manquer tel ou tel ministère, mais les choses vont si vite que je voudrais bien que vous arrivassiez pour en causer avec vous. s’il plaît à Dieu, nous n’en viendrons pas à cette extrémité. »


Bien nous en prit, mon sage mentor et moi, de rester ainsi sur la défensive, de ne point confier au public nos modestes appréhensions, de ne point faire à sa barbe les dédaigneux, les dégoûtés. Nous lui eussions prêté à rire, ni plus ni moins que les autres prétendans, car il se préparait alors à petit bruit une vraie journée des dupes. Tandis que les grands personnages prenaient de grands airs et ne parlaient que de forcer la main au roi, le roi tenait toujours le bon bout ; son factotum était en besogne et le servait même un peu ultra petita. Dans je ne sais quelle de ses bouffonneries bibliques, Voltaire fait dire au roi Saül : « Je cherchais les ânesses de mon père et j’ai trouvé un royaume ; plût à Dieu que j’eusse cherché un royaume et trouvé des ânesses ! j’aurais fait un bien meilleur marché. » Le roi Charles X ne cherchait pas précisément des ânesses, mais il cherchait un petit troupeau humble et docile qu’il pût mener à la baguette ; il ne trouva pas non plus précisément un royaume, mais il trouva un ministère honnête, sensé, dévoué dans une juste mesure, ferme au degré suffisant, décidé à servir ses intérêts plutôt que ses préjugés et ses fantaisies et à seconder, en le modérant, le mouvement national, plutôt qu’à se constituer l’alter ego du ministère défunt et le souffre-douleurs de ses sottises.

C’était beaucoup plus que le roi ne souhaitait.

Comment s’opéra ce miracle au petit pied? Je n’en sais trop rien, et, dans le temps, si j’ai bonne mémoire, personne ne s’en rendit tout à fait compte.

Toujours est-il que, le 3 janvier, le ministère Villèle faisait encore semblant de tenir conseil ; le bon M. de Chabrol faisait encore semblant d’y siéger, le trident de Neptune en main ; on faisait même semblant d’y discuter sur un sujet quelconque pour amuser le tapis ; mais l’heure venue où l’on se séparait d’ordinaire, et chaque ministre ayant fait retraite en emportant sous son bras son semblant