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encore ceux d’aujourd’hui ; nul choix, nul soin d’assortir, de disposer en édifice et de lier solidement : c’étaient, par touffes enchevêtrées à l’aventure et tenant l’une à l’autre par un brin d’herbe, toute une floraison de forêt vierge. Une pièce riche de deux sujets, ou de trois, ou de quatre, ne semblait point embarrassée, car elle n’était embarrassante pour personne : l’esprit de l’auteur s’y exerçait sans inquiétude ni fatigue, passant de l’une à l’autre intrigue naïvement, facilement ; l’esprit du spectateur, docile et sans y mettre de complaisance, s’amusait partout à sa suite.

Nous savions cela, et que, d’ailleurs, s’il était un genre où pût régner avec plus de sécurité cette anarchie naturelle, c’est celui de ce léger ouvrage. Le Songe d’une nuit d’été, pour quelque circonstance qu’il ait été composé, — sans doute pour un mariage princier ou seigneurial, — n’est rien qu’un divertissement : ce qu’on appelait en Angleterre, au siècle d’Elisabeth, un mask, — c’est-à-dire une mascarade scénique, mélange de « pièce à spectacle, » d’opéra, de poème allégorique et de poème fantastique, — et chez nous, au siècle de Louis XIV une comédie-ballet. Molière, dans l’Argument du Mariage forcé, ballet du roi, qu’il nomme lui-même une a comédie-mascarade, » définit les ballets a des comédies muettes ; » il y a, de même, des comédies qui ne sont que des ballets parlans. La princesse d’Élide. sans aller plus loin, est cousine de cette Hippolyte ; et, Euryale, prince d’Ithaque, n’est guère éloigné de Thésée, duc d’Athènes. Le décor de la Pastorale comique pourrait s’échanger pour celui du Songe. Ici Shakspeare, comme ont fait Molière et Corneille dans Psyché, selon l’avis du « libraire aux lecteurs, » a pu s’attacher « aux beautés et à la pompe du spectacle, » — sans parler des beautés de la poésie, — plutôt qu’à « l’exacte régularité, » dont il n’avait d’ailleurs nulle idée. Enfin, comme Molière obéissant à Louis XIV, — aux termes de l’Avant-propos des Amans magnifiques, — il a pu « se proposer de donner à la cour n ou au public « un divertissement qui fût composé de tous ceux que le théâtre peut fournir. » Le grand roi « pour enchaîner ensemble tant de choses diverses,.. a choisi pour sujet deux princes rivaux, qui dans le champêtre séjour de la vallée de Tempe, où l’on doit célébrer les jeux Pythiens, régalent à l’envi une jeune princesse et sa mère de toutes les galanteries dont ils se peuvent aviser. » Shakspeare, pour « embrasser » une aussi « vaste idée, » a choisi un prince fiancé à une princesse, et qui ordonne que, le jour de ses noces, quelques-uns de ses sujets prennent le parti de conclure aussi leurs épousailles ; dans le « champêtre séjour » du bois d’Athènes, il a supposé que des artisans veulent « célébrer, » à propos de ce mariage, des a jeux » dramatiques ; enfin il a « régalé » les spectateurs de cette triple action de toutes les « galanteries » fantastiques dont son imagination a pu « s’aviser. »