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buissons et changeant de cachette, imite tour à tour la voix de l’un et de l’autre pour exciter leur fureur et l’égarer, ils se précipitent sur la scène et hors de scène, alternativement, ébranlant à grands pas les planches, se provoquant et se traitant de lâches comme des héros d’Homère. Ainsi, dans ce double colin-maillard où l’on verrait, sans un plaisir bien neuf, mais sans étonnement et sans scandale, Babylas et Sottinez, des Pilules du diable, s’agiter et se trémousser pour les beaux yeux d’Isabelle, fille de Seringuinos, et surtout pour l’amusement du public, on voit ici gesticuler lourdement et s’époumonner ces nobles personnages pour inspirer la terreur : ah ! non, par exemple ! Ils font éclater le rire, mais un mauvais rire, un rire de moquerie et de colère, et ils soulèvent les huées : — tant pis ! c’est fait, nous avons hué Shakspeare !

Heureusement s’arrête là cet insupportable essai de féerie-vaudeville tragique ; et la pièce revient purement à la féerie, à la féerie-ballet, genre qui n’est pas fort relevé, sans doute, mais qui n’a rien de déplaisant. Le roi des génies, qui, même avec son clown, ne connaît décidément qu’un tour, a effleuré de son talisman les yeux de la reine des fées endormie. L’homme à la tête d’âne survient ; c’est lui que la reine aperçoit en s’éveillant : c’est donc lui qu’elle aime. Elle appelle ses sujettes et ordonne des danses en l’honneur de son bien-aimé : « Que la fête commence ! .. » Les danseuses prennent des postures et déroulent des guirlandes de roses autour du ridicule personnage ; la reine le fait asseoir auprès d’elle sur un banc de gazon et l’enveloppe de ses bras, tandis que manœuvrent les quadrilles. Ce spectacle est assez divertissant et gracieux.

Cependant le roi des génies reparaît, pardonne à la fée et rompt le charme ; les voilà réconciliés : si vraiment c’est une féerie, nous touchons à la fin. Mais les comédiens, avec la comédie dont ils étaient les héros, ou celle au moins qu’ils devaient jouer, que deviennent-ils ? Le plus simplement du monde, ils traversent la scène et s’en vont. Mais les deux couples d’amoureux, et leur vaudeville sentimental, si fâcheusement tourné au tragique ? Mais ce Thésée de pantomime et son Hippolyte et sa cour ?

Sans autre suite et sans explication, aussitôt après l’intermède de danse, tous les personnages de la pièce sont réunis dans une apothéose. Sur l’escalier extérieur et sur les terrasses d’un palais, c’est le roi des génies, la reine des fées et leur cour qui répandent dans les airs, en l’honneur de Thésée, des bénédictions nuptiales et des fleurs. Ils s’éloignent et le héros fait une entrée triomphale : après un défilé de gardes et de courtisans, Thésée avec Hippolyte sous un dais ; puis, se tenant par la main, Hélène et Démétrius, Hermia et Lysandre ; ensuite les acteurs ; enfin la foule des Athéniens et des Amazones. Le