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princes dépossédés pour remettre en question l’œuvre hâtive, artificielle de 1859. Déjà les partisans du prince Murat s’agitaient dans le royaume de Naples, tandis que, dans les provinces septentrionales, la propagande de Mazzini faisait d’inquiétans progrès. Il fallait que M. Rattazzi fût un homme d’état bien téméraire, ou qu’il eût de la volonté de Napoléon III la plus affligeante idée pour se permettre, dans des pareilles conditions, de braver la France dans sa conscience et de déchirer un traité qui portait sa signature. Il n’était que temps de s’arrêter ; un pas de plus et il n’était pas dit que le traité de Zurich, si audacieusement violé, ne devînt une réalité.

Du reste, les illusions étaient tombées brusquement, la raison était revenue dès qu’on s’était aperçu qu’on allait se trouver seul en tête-à-tête avec la France, prête à faire respecter la convention de septembre, l’épée à la main. Le roi, en face du péril, s’était hâté d’écrire à l’empereur ; il avait fait appel aux souvenirs de Solférino ; il savait qu’en les évoquant, il était toujours écouté. Il réclamait des délais pour lui permettre de former un cabinet et de ressaisir les rênes du gouvernement. Il annonçait que le général Cialdini acceptait la présidence du conseil ; le nom du général Cialdini était un gage, on était certain que, sous ses ordres, l’armée royale ne se glisserait pas à la suite ou dans les rangs des bandes révolutionnaires sur le territoire du saint-siège défendu par la France. Le lendemain, le Moniteur contenait la note suivante : « En présence des troubles produits dans les états pontificaux par les bandes révolutionnaires qui en ont franchi la frontière, le gouvernement français avait pris la résolution d’envoyer un corps expéditionnaire à Civita-Vecchia. Cette mesure était l’accomplissement d’un devoir de dignité et d’honneur. Le gouvernement ne pouvait s’exposer à voir la signature de la France, apposée sur la convention du 15 septembre 1804, violée ou méconnue. Mais le gouvernement italien a fait au gouvernement de l’empereur les assurances et les déclarations les plus catégoriques. Toutes les mesures nécessaires sont prises pour empêcher l’envahissement des états pontificaux et rendre à la convention sa complète efficacité.

« Par suite de ces communications, l’empereur a donné l’ordre d’arrêter l’embarquement des troupes. Une dépêche télégraphique annonce que le roi d’Italie a accepté la démission de M. Rattazzi et chargé le général Cialdini de former un cabinet. »

Victor-Emmanuel par son énergie, et Napoléon III par sa modération, espéraient apaiser les passions et faire rentrer la péninsule dans l’ordre et la légalité. Ils oubliaient le captif de Caprera ; son évasion, conséquence forcée de la chute de M. Rattazzi, allait tout