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et que l’effort a dépassé momentanément la force de la constitution, qu’il en résulte ainsi dans l’organisme un trouble passager qu’on doit essayer de surmonter par un bon régime. Il n’en va pas autrement de ces périodes qu’on appelle des crises de surproduction : l’expression, prise dans un sens général, est inexacte ; on n’en doit pas conclure que, en considérant la totalité des produits humains, l’homme doit s’ingénier à revenir en arrière et à produire moins. Ce n’est là aussi qu’une simple fièvre de croissance, qui vient de ce qu’un phénomène utile s’est produit avec trop de soudaineté, qu’il n’a pas permis à de nouvelles habitudes, à de nouveaux agencemens de s’établir, que le travail nécessaire d’adaptation de la société à des conditions nouvelles n’a pu s’effectuer graduellement, et qu’il en résulte une gêne momentanée et douloureuse. Ces fièvres de croissance sont exactement les mêmes pour l’organisme industriel et pour l’organisme social que pour l’organisme humain. La nature et le temps sont les remèdes efficaces. Il y faut cependant aussi un bon régime.


III

On doit d’abord se garder des empiriques et des charlatans. Ils assiègent sans cesse les pouvoirs publics d’une nation souffrante. Les premiers de ces prétendus guérisseurs, ce sont les protectionnistes. On produit trop, disent-ils, dans l’ensemble du monde, nous ne pouvons lutter contre la concurrence universelle : le remède est prompt, simple, toujours sous la main, c’est la proscription des marchandises étrangères et les encouragemens aux marchandises nationales. Cette façon de raisonner a repris du crédit dans le monde ; nous n’en connaissons pas de plus déraisonnable. Plus je vis, plus j’observe, plus je compare, plus l’absurdité criante du protectionnisme s’accuse à mes yeux par les faits les plus incontestables. Le protectionnisme a une grande part de responsabilité dans la crise actuelle. Il y a d’abord, entre cette crise et le redoublement du protectionnisme en Europe et en Amérique à partir de 1878, une concomitance qu’on ne peut nier. C’est, affirmera-t-on, une rencontre fortuite, que la renonciation à une liberté commerciale mitigée ait été, à bref délai, suivie d’une crise intense. Soit ; n’insistons pas sur la simultanéité des deux phénomènes. Mais jugez vous-même des effets de protectionnisme par quelques exemples. Parmi les objets dont la production s’est le plus accrue et qui se trouvent le plus dépréciés, on peut placer les navires à vapeur, les rails et les produits métallurgiques ; enfin, une denrée comestible, le sucre. Eh bien ! ces trois produits sont, à peu près dans tous les