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En laissant de côté la question controversée de savoir quelle est la cause réelle ou la principale cause de la baisse du métal d’argent, le point essentiel pour l’étude de la crise commerciale est d’examiner si la rareté de l’or a pu exercer une influence sensible sur les prix et sur l’ensemble du commerce du monde. Cette prétendue rareté de l’or est toute relative, puisque la production annuelle de ce métal monte encore à près de 500 millions de francs. Les nombreux écrivains soit anglais, soit français, qui veulent établir un lien entre ce qu’ils appellent la raréfaction du premier des métaux précieux et la crise commerciale universelle insistent beaucoup sur la simultanéité des deux phénomènes. Les prix de toutes les marchandises ont baissé, disent-ils, dans des proportions très fortes et qui s’accentuent chaque jour, et le point de départ de la baisse coïncide à peu près, suivant ces théoriciens, avec la démonétisation des thalers allemands et avec l’interdiction de la frappe des monnaies d’argent dans les pays de l’Union latine. On fait remarquer, en outre, que la production de l’or diminue au moment où un plus grand nombre de nations recourent à ce métal pour en faire la base de leur circulation monétaire ; c’est ainsi que, en plus de l’Allemagne, les États-Unis ont repris les paiemens en espèces sur la base de l’étalon d’or, tout en continuant à frapper, par condescendance pour les producteurs de mines, dans des proportions fixes, des dollars d’argent dont personne ne veut ; l’Italie qui, elle aussi, s’est dégagée du cours forcé, a pris au reste du monde une somme notable d’or qu’elle tâche de garder avec un soin jaloux dans les caisses de ses banques. Le volume du commerce universel va sans cesse en se développant, et la mesure de ce commerce, c’est-à-dire l’or, ne suit plus que d’un pas inégal et lent cet accroissement des opérations commerciales. Aussi, tandis qu’il y a un quart de siècle, un grand nombre de personnes parlaient de la dépréciation de l’or, aujourd’hui certains théoriciens anglais, formant un nouveau mot, en se servant d’un autre préfixe, ne tarissent pas sur « l’appréciation » de l’or, vocable par lequel ils entendent l’augmentation de valeur de ce précieux métal. Les mêmes personnes qui ne voient à la crise commerciale qu’une cause purement monétaire ajoutent que la perte de 20 à 22 pour 100 de la valeur de l’argent depuis quelques années constitue pour les pays qui ont ce métal comme étalon un avantage énorme, qu’ils peuvent vendre leurs produits, notamment le blé, 22 pour 100 moins cher et que l’agriculteur européen se trouve ainsi mis à la merci du cultivateur hindou.

Dans tout cet ensemble de raisonnemens on trouve mêlés des faits qui sont plus ou moins exactement observés et des inductions