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possible, l’équilibre et la santé dans la constitution commerciale des peuples ?

Sur les origines de la crise, les opinions sont très diverses. Les uns n’y veulent voir qu’une de ces secousses périodiques, une de maladies de croissance qui sont comme l’accompagnement et la rançon de tous les progrès et qui, amenées par le cours naturel des choses, ayant un caractère en quelque sorte fatal, disparaissent d’elles-mêmes. Parmi ceux qui tiennent à cette opinion, quelques-uns croient déjà entrevoir les signes de la convalescence : ils les détaillent, les rapprochent, les commentent. Un de ces observateurs optimistes, M. Clément Juglar, qui s’est fait de l’étude des crises commerciales une spécialité intéressante et féconde, voit, dans les mouvemens de l’encaisse et du portefeuille des banques, des symptômes aujourd’hui rassurans. Le mal serait arrivé au période le plus aigu et en voie de s’atténuer. Un homme d’affaires qui, sur ce point, parait un disciple de M. Clément Juglar, M. Jacques Siegfried, dresse avec une minutieuse exactitude des travaux graphiques d’où il ressortirait que la reprise des affaires est proche. Tout autres sont les réflexions et les prévisions d’observateurs non moins systématiques, qui prétendent que la crise actuelle diffère considérablement de toutes celles qui l’ont précédée, qu’elle a une cause non pas naturelle, mais artificielle, qu’une faute de quelques gouvernemens l’a engendrée et qu’une mesure simple, facile, de ces mêmes gouvernemens peut, en un instant, la faire disparaître. Il ne tiendrait qu’à un article de loi ou à une clause de traité international de transformer la gêne présente, qui est universelle, en une prospérité soudaine qui serait également universelle. Ces médecins, si affirmatifs, sont les partisans du métal d’argent, les bimétallistes, comme ils se nomment. Rien n’égale leur ardeur, le ton catégorique dont ils usent, le dédain profond qu’ils affectent pour les égarés et les ignorans qui ne partagent pas leur foi. Ils ont le caractère d’apôtres. Le talent et la verve ne leur manquent pas. Il suffit de nommer M. Emile de Laveleye en Belgique, en France le spirituel, mordant et incisif M. Cernuschi, dans nos chambres M. de Soubeyran, pour voir que ces médecins, au remède unique et immédiat, sont loin d’être les premiers venus. On a proscrit l’argent pour introniser l’or comme unique souverain monétaire ; l’argent se venge d’une façon effroyable et plonge le monde dans une crise dont on ne sortira que par la réhabilitation de l’argent. Parmi les observateurs des souffrances commerciales actuelles, il se rencontre beaucoup d’autres variétés : ceux qui s’exclament sur la surproduction ; l’homme produit trop pour ses besoins ; s’il ne fait pas moins de blé, moins de vêtemens, moins de maisons,