son père, mais il rentra si bien en grâce auprès de lui que Jean Poquelin lui permit de faire élection de domicile en sa maison pour les actes et contrats provoqués par la future installation parisienne de la troupe. Molière ne pouvait prévoir à ce moment que la protection royale lui donnerait, aussitôt arrivé, la salle du Petit-Bourbon ; aussi négociait-il la location d’un théâtre. Le 12 juillet, sa femme d’affaires, Madeleine Béjart, obtenait à Rouen, du comte de Talhouet, la cession de bail du jeu de paume des Marais, à Paris, avec tout le matériel de théâtre qu’il contenait, et elle faisait élection de domicile « en la maison de M. Poquelin, tapissier, valet de chambre du roi, demeurant sous les Halles, paroisse de Saint-Eustache, pour audit lieu être faits tous exploits et diligences de justice nécessaires. » Bien plus, entre 1660 et 1664, Molière ayant de grosses dépenses à faire pour s’installer, Jean Poquelin paya pour lui diverses sommes s’élevant à un total de 1,512 livres. Les papiers contenant le détail de ces paiemens figurent dans l’inventaire après décès de Poquelin père avec cette mention : « J’ai déboursé pour monsieur Molière tous les articles y écrits. » E. Soulié, qui ne connaissait pas le contrat de Rouen, a tiré de cette formule une induction contestable. D’après lui, « monsieur Molière » serait l’expression d’une ironie amère à l’égard de ce fils comédien, déguisé sous un sobriquet de théâtre. J’y verrais plutôt une marque de respect pour un nom déjà illustre, salué par Boileau, acclamé par le public, le nom d’un homme protégé par le roi et qui vient de signer : « J.-B. P. Molière » trois épîtres dédicatoires : l’une, en tête de l’École des maris, à Monsieur ; l’autre, en tête des Fâcheux, au roi ; la troisième, en tête de l’École des femmes, à Madame. Le poète est, du reste, en relations suivies avec sa famille et fait avec elles échange de bons offices. En 1659, il est parrain de son neveu Jean-Baptiste, fils de son frère Jean et de Marie Maillard ; en 1662, Jean Poquelin et Boudet l’assistent à son mariage avec Armande Béjart ; en 1663, il tient sur les fonts une fille de sa sœur Madeleine et de Boudet, et les Poquelins sont très fiers de ce dernier parrainage : s’ils ne font pas mettre sur l’acte de baptême le titre de comédien de Monsieur, l’église ne voyant pas de très bon œil cette sorte de qualité, ils donnent au parrain une série de titres qu’il n’avait jamais prise aussi complète : « Jean-Baptiste Poquelin, écuyer, sieur de Molière. » La gloire, la faveur et la fortune du poète grandissant chaque année, ces bonnes relations ne purent que devenir de plus en plus étroites. Aussi n’hésité-je pas à ranger parmi les fables l’anecdote d’après laquelle Molière aurait inutilement offert à sa famille l’entrée gratuite de son théâtre : il est sans exemple que des Parisiens aient refusé des billets de faveur.
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