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droit sur cette charge. Le 30 juin suivant, le jeune Poquelin signait l’acte de société d’une troupe qui prenait le nom d’Illustre Théâtre, avec ses amis les Béjart, plusieurs fils de bonne bourgeoisie, et, surprenant camarade, George Pinel, son maître écrivain.

Avec celui-ci nous entrons en pleine comédie italienne, et voici comment la pièce put se dérouler. Entre le 6 janvier et le 30 juin, Jean Poquelin n’avait pas renoncé à tout espoir de ramener son fils ; c’est un contemporain, Charles Perrault, qui nous l’apprend : « Il le fit solliciter, dit-il, par tout ce qu’il avoit d’amis, de quitter cette pensée (de se faire comédien), promettant, s’il vouloit revenir chez lui, de lui acheter une charge telle qu’il la souhaiteroit, pourvu qu’elle n’excédât pas ses forces. Ni les prières, ni les remontrances soutenues de ces promesses, ne purent rien sur son esprit. » Le père se résolut enfin à lui envoyer un maître, dont Perrault ignore le nom, mais que nous savons être Pinel. Débiteur du tapissier, le maître écrivain accepta avec empressement, et, s’il faut en croire Perrault, commença par s’acquitter de sa mission en conscience ; il harangua du mieux qu’il put son ancien élève. Mais le résultat de l’ambassade fut tout différent de ce qu’espérait le père Poquelin : « Bien loin que le maître lui persuadât de quitter la profession de comédien, le jeune Molière lui persuada d’embrasser la même profession et d’être le docteur de leur comédie, lui ayant représenté que le peu de latin qu’il savoit le rendoit capable d’en bien faire le personnage, et que la vie qu’il mèneroit seroit plus agréable que celle d’un homme qui tient des pensionnaires. » C’est, on le voit, le contrepied de la fable de La Fontaine, le Loup et le Chien.

Une fois engagé comme pédant, Pinel signe l’acte du 30 juin. Mais il se garde bien de dire ce qui s’est passé à Jean Poquelin, qui l’eût chassé avec indignation. De connivence avec son élève devenu son camarade, il amuse le père par des inventions que l’on devine : il n’a pas réussi du premier coup, mais il reviendra à la charge et sera plus heureux. Entre temps, l’Illustre Théâtre jette les yeux, pour y faire ses débuts publics, sur une salle de la porte de Nesle, le Jeu de paume des métayers. Mais le prix annuel de location étant de 1,900 livres, il faut, selon l’usage, en payer le douzième, c’est-à-dire près de 160 livres, avant d’entrer en jouissance. Quel bon tour si l’on pouvait soutirer cette somme au tapissier ! Pinel est donc dépêché vers le bonhomme, qui se défie de tout le monde, sauf du maître écrivain, et, sous un beau prétexte, comme la nécessité pour le fils d’acquitter quelques dettes avant de rentrer au bercail, ou simplement un nouvel emprunt consenti à lui, Pinel, en reconnaissance du service rendu, le pédant obtient du tapissier, le 1er août, la somme de 200 livres, tout comme, dans les