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de son fils, il résolut de le dépayser. Depuis la fin de janvier 1642, la cour était partie pour le Languedoc et prenait part à la campagne qui devait nous donner Perpignan et le Roussillon. Or, en sa qualité de tapissier du roi, Jean Poquelin était obligé de la rejoindre, son quartier allant d’avril à juin. Usant du droit que lui donnait la survivance dont il avait pourvu son fils, il le fit partir à sa place. Ainsi le jeune homme verrait du pays, vivrait d’une vie nouvelle et peut-être changerait d’idées. Grimarest, et Voltaire après lui, expliquent cette substitution par « le grand âge et l’infirmité » du père : ce prétendu vieillard n’avait en fait que quarante-six ans, et rien ne le montre infirme. Nouvelle déception ajoutée à tant d’autres, le fils revint, son trimestre écoulé, plus porté que jamais aux aventures et préparé par une indépendance de trois mois à la résolution de vivre désormais à sa guise. De plus, il entrait dans ses vingt et un ans, et, quoique ce ne fût pas encore l’âge de la majorité légale, ç’a été de tout temps celui des coups de tête et des émancipations de fait. Aussitôt de retour, il formait, avec ses amis les Béjart et quelques « enfans de famille, » une troupe qui se préparait, en jouant la comédie comme passe-temps, à la jouer bientôt comme profession. Le moment semblait favorable ; les révoltes de la noblesse comprimées ou à peu près, les Français et leurs alliés partout victorieux, la tranquillité renaissante promettaient une de ces périodes de facilité au plaisir qui suivent d’ordinaire les longues agitations. En outre, l’année précédente, le 16 avril 1641, Louis XIII avait rendu une ordonnance dont les « fils de famille » pouvaient se faire un argument ou un prétexte auprès de leurs parens. D’abord, l’édit défendait « à tous comédiens de représenter aucunes actions malhonnêtes, ni d’user d’aucunes paroles lascives ou à double entente. » Ainsi le théâtre se trouvait moralisé. En outre, espérant que, désormais, les comédiens « régleraient tellement les actions du théâtre qu’elles seraient du tout exemptes d’impuretés, » le roi les relevait légalement de la déchéance qui les frappait jusqu’alors : « Nous voulons, disait-il, que leur exercice, qui peut innocemment divertir nos peuples de diverses occupations mauvaises, ne puisse leur être imputé à blâme, ni préjudicier à leur réputation dans le commerce public. »

Le 6 janvier 1643, Jean Poquelin, voyant qu’il ne pouvait plus rien sur les mauvais penchans de son fils, se décidait à lui donner une somme de 630 livres, « tant de ce qui lui pouvoit appartenir de la succession de sa mère qu’en avancement d’hoirie de son père. » De son côté, le fils « prioit et requérait » son père « de faire pourvoir de la charge de tapissier du roi, dont il avoit la survivance, tel autre de ses enfans qu’il lui plairait » et abandonnait tout