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assez bien informé des faits de sa vie, nous en dit plus long. Le père ayant su que,

moyennant finance,
Dans Orléans un âne obtenoit sa licence,

il y mène son fils, lui achète un diplôme, et le fait débuter au barreau.

Mais, de grâce, admirez l’étrange ingratitude :
Au lieu de se donner tout à fait à l’étude
Pour plaire à ce bon père et plaider doctement,
Il ne fut au palais qu’une fois seulement.

Tout cela est assez vraisemblable. Charles Perrault nous a laissé dans ses Mémoires l’amusant récit de la manière dont les écoles d’Orléans conféraient leurs grades, et Grimarest déclare tenir de la famille même du poète qu’il eut le titre d’avocat ; si vraiment Molière déserta le Palais de si bonne heure, il ne fit qu’imiter Corneille et donner l’exemple à Boileau.

Ce n’était pas le compte de Jean Poquelin, et il dut faire grise mine à ce résultat négatif d’une éducation coûteuse. Mais ses déceptions ne faisaient que commencer. Aussitôt débarrassé du collège et des écoles, le jeune homme, revenant à son goût pour le théâtre, fit tout pour exaspérer l’homme prosaïque et sensé, l’esprit a bourgeois » qu’était le tapissier. Puisque, trompant les espérances paternelles, il ne voulait pas être avocat, qu’il embrassât du moins la profession exercée de père en fils dans la famille. L’avocat manqué mit peu d’empressement à redevenir apprenti. Tous les témoignages le montrent dès lors dévoré par la passion des spectacles et la satisfaisant partout où il y trouve matière dans Paris : grands et petits comédiens, italiens et français, tragiques et comiques, bouffons et bateleurs, il les suit et les voit tous ; les grimaces de Scaramouche l’enchantent ; il brigue l’emploi de valet chez deux charlatans du Pont-Neuf, l’Orviétan et Bary. Sur ce dernier engoûment, Chalussay est très précis, et, même en faisant la part d’une satire sans frein, il y a certainement quelque chose de vrai dans le récit qu’il prête à Madeleine Bêjart :

Tu briguas chez Bary le quatrième emploi ;
Bary t’en refusa ; tu t’en plaignis à moi.
Et je me souviens bien qu’en ce temps-là mes frères
T’en gaussoient, t’appelant le mangeur de vipères.