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Bourgogne, telle que nous la connaissons, y conduire souvent un enfant, c’était lui choisir des distractions fort au-dessus de son âge. Lorsque Gaultier-Garguille, Gros-Guillaume et Turlupin faisaient assaut de plaisanteries obscènes, si l’enfant comprenait, c’était tant pis. pour lui ; s’il ne comprenait pas, à quoi bon lui offrir ce spectacle, et comment répondre à ses inévitables questions ? Quant à l’espoir que son fils deviendrait un Bellerose, on s’expliquerait encore qu’il laissât Poquelin père sans enthousiasme. Il est des vocations hasardeuses auxquelles on cède, mais que l’on évite de provoquer ; et celle du théâtre n’est-elle pas la plus inquiétante de toutes ? Mais tout porte à croire que Grimarest, comme il lui arrive souvent, d’un point de départ exact sera parti pour imaginer une histoire. Il vaut mieux laisser à Jean Poquelin le mérite de s’être décidé sur des preuves d’intelligence précoces données par son fils ; nous n’aurons que trop de mal à penser bientôt du tapissier pour ne pas en dire un peu de bien, lorsque, somme toute, les faits sont à son avantage.


IV

Les collèges ne manquaient pas dans l’ancien Paris ; en choisissant, rue Saint-Jacques, celui de Clermont, où enseignaient les jésuites, Jean Poquelin fut bien inspiré ou bien conseillé. C’était alors le collège à la mode ; il comptait près de deux mille élèves, et les plus grands noms de France y étaient représentés. Cette faveur s’explique par l’enseignement que l’on y donnait, débarrassé des vieilleries scolastiques, accessible aux nouveautés, plus souple et plus rapide que dans les collèges de l’Université. Puisque le tapissier faisait tant que de procurer à son aîné l’éducation d’un fils de famille, il était habile et sage de le mettre dans une maison où il pouvait former d’utiles amitiés et d’où il sortirait plus savant et plus tôt. En cinq ans, semble-t-il, d’octobre 1636 à août 1641[1], le jeune Poquelin eut terminé ses classes et quitta le collège « fort bon humaniste et encore plus grand philosophe ; » cette dernière qualité grâce à Gassendi, dont il fut, comme on sait, l’élève particulier, en même temps que Chapelle et Hesnaut, Dernier et Cyrano de Bergerac.

On le voit, Jean Poquelin, une fois décidé, n’épargnait rien. La postérité ne lui sera jamais trop reconnaissante de s’être montré

  1. J’adopte les dates proposées par M. J. Loiseleur, les Points obscurs de la vie de Molière, 1877, I, 4.