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Son histoire, avec plan, se trouve dans un dossier conservé aux archives de l’assistance publique, et on la voit représentée dans un tableau de F.-A. Vincent, le Président Molé saisi par les factieux au temps de la Fronde, exposé au Salon de 1779 et placé maintenant dans un vestibule du Palais-Bourbon. C’était une pittoresque construction du XVIe siècle, étroite et profonde, à pans de bois et à pignon, avec deux étages en encorbellement, de petites fenêtres cintrées et des vitrages encadrés de plomb. Au coin, sur la rue des Étuves, elle offrait un de ces poteaux corniers, si nombreux jadis, que la fantaisie des sculpteurs décorait de ces « figures joyeuses et frivoles, » dont parle Rabelais, « contrefaites à plaisir pour exciter le monde à rire. » Avant la disparition de celui qui nous occupe, Alexandre Le Noir avait pris soin de le dessiner ; d’une exécution spirituelle, et, chose rare dans les figures de ce genre, sans indécence ni grossièreté, il représentait un oranger le long duquel grimpait une troupe de jeunes singes, très heureusement saisis dans la souplesse et la variété plaisante de leurs attitudes. De là le nom de Pavillon des singes donné à la maison. Molière ne perdit pas le souvenir de ce poteau qui avait amusé ses yeux d’enfant. Dès 1666, il faisait composer par Fr. Chauveau, pour un recueil de ses comédies, un charmant frontispice contenant un blason qu’il fit mettre aussi sur son argenterie. L’écu représentait trois miroirs de vérité, avec deux singes pour supports, l’un tenant un miroir, l’autre un masque de théâtre : « Vous le voyez, messieurs, s’écriait Donneau de Visé, dans son oraison funèbre du poète, ces armes parlantes font connoitre ce que notre illustre auteur savoit faire ; ces miroirs montrent qu’il voyoit tout, ces singes qu’il contrefaisoit tout ce qu’il voyoit, et ces masques qu’il a démasqué bien des gens, ou plutôt des vices qui se cachoient sous de faux masques. » Si le singe, symbole par excellence de la comédie, était tout indiqué à Molière pour figurer dans ses armes de poète et de comédien, il est permis de croire que le souvenir du poteau cornier ne fut pas étranger à cette spirituelle invention. Et si l’on admet l’influence secrète des lieux et des images, si l’on voit dans le séjour de Molière enfant autre chose qu’un jeu du hasard, ces premières années abritées par le Pavillon des singes parlent agréablement à l’imagination.

Devant la porte de Jean Poquelin, au débouché de la rue de l’Arbre-Sec, s’élevait la croix du Trahoir et s’étendait un carrefour bruyant, avec des cabarets et des boutiques très achalandés, un va-et-vient continuel d’oisifs et d’acheteurs, de badauds et de gens