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que l’on donne dans les contrats à ceux qui n’en ont point d’autres et que prennent les petits bourgeois, les marchands et les artisans. » De même pour la particule de Louis de Cressé. Ce qui passe aujourd’hui pour un signe de noblesse n’indiquait souvent, aux deux derniers siècles, qu’une origine très plébéienne, surtout lorsque la particule précédait, comme ici, un nom de lieu ; Louis de Cressé pouvait bien n’être que le descendant de quelque pauvre ouvrier parti jadis, pour chercher fortune, d’un petit bourg de Saintonge, situé aux environs de Saint-Jean-d’Angély.

Ainsi réduite à sa véritable importance sociale, la famille Poquelin tenait dans la moyenne bourgeoisie parisienne une place fort distinguée. Son importance s’accrut bientôt par une charge considérable que l’un des siens, Nicolas, fils et frère de Jean, acquit entre 1620 et 1630 : celle de tapissier ordinaire du roi. Nous n’en connaissons pas la valeur exacte, mais, par les avantages qui y étaient attachés, les privilèges qu’elle conférait, le prestige surtout qu’elle donnait à un commerçant, elle devait être d’un prix élevé. Les tapissiers du roi jouissaient de la noblesse personnelle et pouvaient se qualifier « d’écuyers ; » dès les premiers temps du règne de Louis XIV, ils reçurent le titre de valet de chambre, fort recherché par les officiers de la cour. D’après l’État de la France, ils étaient au nombre de huit et servaient deux à deux par quartier, c’est-à-dire par trimestre, avec trois cents livres de gages, et divers avantages en nature. Quant à leur service, il est ainsi défini : « Ils aident tous les jours aux valets de chambre à faire le fit du roi ; ils ont eu garde, aux lieux de séjour de la cour, les meubles de campagne du roi pendant leur quartier et font les meubles de Sa Majesté. » Que l’on se rappelle de quelle adoration grandissante la personne royale était entourée depuis le commencement du siècle, combien toute occasion de l’approcher était recherchée ; que l’on considère la valeur artistique de ce qui reste du mobilier de la couronne ; enfin, que l’on parcoure du regard, dans notre Paris de liberté commerciale et de démocratie, les enseignes où s’étalent encore les titres de fournisseurs des maisons royales, et l’on comprendra ce qu’un tapissier du roi pouvait être comme importance sociale et capacité professionnelle en un temps de privilège et de ferveur monarchique.

Huit mois et vingt-deux jours après leur mariage, le 15 janvier 1622, Jean Poquelin et Marie Cressé faisaient baptiser à Saint-Eustache, sous le nom de Jean, porté par son père et son grand-père, un fils, le premier de six enfans, parmi lesquels un autre garçon, baptisé le 1er octobre 1624, reçut aussi le même prénom. Bien que la tradition ait longtemps fait naître Molière en 1620 ou 1621,