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aveugler par elle ; toutefois ces petits-fils de Louis XIV y apportèrent un excès de complaisance et d’obséquiosité. Monsieur, qui rédigea la lettre, y appliqua tout le bel esprit dont il se piquait. Catherine passait pour goûter la Henriade ; Monsieur prodigua les allusions à Henri IV, mais d’un style qui n’était guère celui de ce fier et narquois Béarnais. « Lorsque Henri IV s’honorait du titre de chevalier de la reine Elisabeth, il était déjà un héros, et nous n’avons encore rien fait qui puisse attirer les regards de Catherine ! » Ce qu’il y avait de meilleur dans cette fade épître, c’était le passage de la conclusion, le plus illusoire du reste et le plus ingénu aussi, adressé à l’élève et à l’associée du grand Frédéric. « Les secours combinés de la Russie et de la Suède auraient un avantage qui les rendrait infiniment précieux, l’évidence de leur désintéressement. Il est juste, sans doute, que la monarchie française, rétablie dans son ancien état, soit tenue de dédommager, par voie de subsides ou autre genre de paiement, les puissances qui l’auront secourue, des avances et frais d’armement qu’elles seront dans le cas de répéter. Mais des démembremens qui resserreraient les limites du royaume et dérangeraient l’équilibre de l’Europe ne doivent pas être le prix de l’assistance généreuse qui a été promise aux princes frères du roi, agissant en son nom et pour la défense de la couronne. On ne leur en demande aucun ; .. mais l’exemple de Catherine II et le poids de son influence serviraient à écarter tous les doutes que la nation pourrait concevoir à cet égard. » On ne saurait méconnaître qu’à côté de tant de motifs équivoques qui portèrent Monsieur à s’attribuer la régence, celui-là ne fût au moins très respectable. Il s’imaginait que, s’il se mettait à la tête de la coalition, ses alliés ne pourraient dépouiller une couronne dont ils auraient, avec lui, défendu les droits. Cette vue était juste d’après les principes ; mais les principes étaient la chose du monde dont l’Europe se préoccupait le moins, et ce n’était pas sur ce ton là qu’il convenait de l’entretenir pour s’en faire écouter.

Les princes comptaient sur la Russie ; ils croyaient aisé de décider le roi de Prusse : restait le principal et le plus difficile, qui était « d’enlever » l’empereur. Sans se rebuter des échecs multipliés qu’ils avaient subis de ce côté, ils se résolurent à une nouvelle démarche. Le comte d’Artois, accompagné des comtes de Calonne et d’Esterhazy, partit pour Vienne, où il arriva le 15 août. La visite du comte d’Artois parut très inopportune à l’empereur ; cependant il ne crut pas possible de l’éviter. Il reçut ce prince le 20 août. Le comte d’Artois exposa ses projets et rappela les promesses que l’empereur avait faites en Italie. Léopold lui répondit qu’il s’en exagérait la portée, que tout y était subordonné au concert de l’Europe, et que ce concert rencontrait de grosses difficultés.