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III

L’empereur arriva dans sa capitale à la fin de juillet. Le chancelier Kaunitz avisa l’ambassadeur de France, M. de Noailles ; de n’avoir point à solliciter d’audience et de s’abstenir de paraître à la cour. Il le menaça même de représailles dans le cas où la mission impériale à Paris serait la victime de quelque attentat. « Nous sommes, écrivait ce diplomate, comme une puissance nouvelle que l’on est libre de ne point reconnaître. » Un trait montrera combien tout était changé en Allemagne par l’événement de Varennes. Un juif de Berlin, Éphraïm, courtier très équivoque de la diplomatie prussienne, se trouvait à Paris, où il cabalait bruyamment contre la reine et contre l’Autriche. Il fut arrêté sous prétexte qu’il fomentait des troubles, La Prusse le réclama, on l’élargit. L’Autriche s’émut de son sort. « Vous ne vous seriez pas attendu l’hiver dernier, écrivait Noailles à Montmorin, quand le juif Éphraïm était payé par le ministère prussien pour intriguer à Paris, qu’il deviendrait un objet d’intérêt pour la cour de Vienne. En général, le ton actuel est ici de justifier la cour de Berlin plutôt que de vouloir lui trouver des torts. » C’est que l’alliance de la Prusse était une condition nécessaire au succès des mesures que préparait Léopold.

La circulaire et le mémoire que Kaunitz adressa, le 17 juillet, aux agens diplomatiques de l’empereur ne présentent guère qu’une amplification des idées indiquées par Léopold dans ses lettres personnelles aux souverains. Le vieux chancelier s’applique à marquer le caractère européen de l’entreprise, à bien établir qu’il ne s’agit ni d’une affaire de famille ni d’une combinaison particulière de la politique autrichienne. Sa démonstration filandreuse est froide et toute superficielle. Il rassemble tous les argumens qu’il peut découvrir pour justifier une action commune ; il déduit des raisons, il disserte, il ne semble que médiocrement persuadé et très médiocrement ému. La nature de la révolution lui échappe ; il n’y aperçoit point ce qui la séparera de toutes les autres. Il ne l’en distingue que par le degré d’intensité. Il n’y observe que les effets de l’esprit « d’insubordination et de révolte ; » il n’y redoute que l’exemple de cette anarchie naturellement séduisante aux populaces de tous les pays et que le parti « républicain » de l’assemblée encourage et propage en dehors « avec une perfidie de moyens qui menacent le repos de tous les gouvernemens. » Les puissances ont le droit de s’en préserver. L’assemblée les y provoque d’ailleurs : elle entreprend sur leurs droits et rompt les engagemens de la France avec elles. La France usurpe Avignon, dépouille les princes Allemands. Tous les gouvernemens sont fondés à résister à ces