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Le créateur littéraire doit régler son opération sur ce modèle. Comment le réalisme s’y est-il conformé, dans les littératures où il fait ses expériences ?


II

Considérons-le d’abord dans notre pays. Nulle part le terrain ne lui était moins favorable. Notre tradition intellectuelle proteste contre l’esthétique nécessaire du réalisme. Notre génie est impatient de toute lenteur, amoureux d’effets brillans et rapides. L’art qui se pique d’imiter la nature a besoin comme elle de préparations lentes pour des effets rares et intenses. Il amoncelle les menus détails pour la composition d’une figure ou d’un tableau ; nous voulons qu’on nous peigne en quelques traits un personnage, une scène. Le réalisme tire toute sa force de sa simplicité, de sa naïveté ; rien n’est moins simple et moins naïf que le goût d’une race vieillie, spirituelle, saturée de rhétorique. Ainsi, en empruntant aux sciences naturelles leurs procédés d’analyse minutieuse, nos écrivains réalistes, naturalistes, — peu importe le nom qu’on leur donne, — se sont trouvés en face de ce problème redoutable : contraindre nos facultés littéraires à un emploi nouveau qui leur répugne. Toutefois, ces difficultés de forme ne suffisent pas à expliquer la résistance que ces écrivains rencontrent dans une grande partie du public. On leur reproche surtout de diminuer, d’attrister et d’avilir le spectacle du monde ; nous leur en voulons de ce qu’ils ignorent la moitié de nous-mêmes et la meilleure moitié.

Leur impuissance est-elle donc inhérente à leur principe ? Personne n’oserait le soutenir. Bien longtemps avant nos querelles, on attestait que la grandeur de l’univers est visible dans l’infiniment petit autant qu’à l’autre extrême, on s’émerveillait du ciron, aussi prodigieux que le colosse, on retrouvait l’immensité. « dans l’enceinte d’un raccourci d’atome. » Le vice de l’école nouvelle n’est point dans ceci qu’elle prend l’infini par en bas, qu’elle s’intéresse aux petites choses et aux petites gens ; il n’est pas dans l’objet d’étude, mais dans l’œil qui étudie cet objet.

On sait que la lignée réaliste se rattache à Stendhal. C’est hasard de rencontre plutôt que filiation prouvée. On ne médite pas toujours les enfans qu’on a. L’auteur de la Chartreuse de Parme ne songeait guère à faire souche littéraire ; et je ne sais si ce quinteux eût avoué la famille posthume qui lui est survenue. Il en est de lui comme de ces aïeux qu’on se retrouve quand on se compose une généalogie. Par certains côtés, Stendhal est un écrivain du