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énorme pyramide qui portait sur sa pointe. L’homme a repris à pied d’œuvre l’explication de l’univers ; il s’est aperçu que l’existence, les grandeurs et les maux de cet univers provenaient du labeur incessant des infiniment petits. Tandis que les institutions remettaient le gouvernement des états à la multitude, les sciences rapportaient le gouvernement du monde aux atomes. Partout, dans l’analyse des phénomènes physiques et moraux, on a décomposé et pour ainsi dire émietté les anciennes causes ; aux agens brusques et simples, procédant à grands coups de puissance, qui nous rendaient jadis raison des révolutions du globe, de l’histoire et de l’âme, on a substitué l’évolution constante d’êtres minimes et obscurs.

C’est comme une pente inévitable : dès qu’il bouge, l’esprit moderne la descend. Recherche-t-il les origines de la création ? Ce n’est plus le chef-d’œuvre construit de toutes pièces en six jours, par l’opération soudaine d’un démiurge. Une vapeur qui se fixe, des gouttes d’eau, des molécules lentement agglomérées durant des myriades de siècles, voilà l’humble commencement des planètes ; et celui de la vie, le léger soupir d’êtres sans nom, grouillant dans une flaque de boue. S’agit-il d’expliquer les transformations successives du globe ? Les volcans, les déluges, les grands cataclysmes n’y ont plus qu’une faible part ; c’est l’ouvrage des anonymes et des imperceptibles, le grain de sable roulé par la source durant des jours sans nombre, le rocher de corail qui devient continent par le travail des microzoaires, du petit peuple patient employé au fond de l’océan. Si nous passons à notre propre machine, on a bien rabattu de sa gloire ; tout ce merveilleux assemblage de ressorts n’est qu’une chaîne de cellules, homme aujourd’hui, demain tige d’herbe ou anneaux du ver ; tout, jusqu’à cette pincée de substance grise où je puise en ce moment mes idées sur le monde. Consultée sur la dissolution de cette machine, la science médicale conclut comme les autres à l’explication universelle ; ce ne sont plus de grands mouvemens de nos humeurs qui nous détruisent ; les petites bêtes nous rongent, les œuvres de la vie et de la mort sont confiées à une animalité invisible. La découverte est d’une telle importance, qu’on se prend à douter si l’avenir, au lieu de désigner notre siècle par le nom de quelque rare génie, ne l’appellera pas le siècle des microbes ; nul mot ne rendrait mieux notre physionomie et le sens de notre passage à travers les générations.

Les sciences morales suivent le branle communiqué par celles de la nature. L’histoire reçoit la déposition des peuples et repousse au second plan les seuls témoins qu’elle écoutât jadis, rois, ministres, capitaines ; en parcourant ses nécropoles, elle s’arrête moins