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peut-être, c’est la manière dont il justifie ses propositions. Il est certain que M. Gladstone n’y met pas de ménagemens, qu’il fait tout haut, et avec une hardiesse singulière, la confession des péchés britanniques. Il avoue, sans employer d’euphémismes, les iniquités, les actes de tyrannie et d’oppression, les captations et les spoliations dont l’Angleterre s’est rendue coupable depuis Cromwell, dont elle est responsable aujourd’hui et qu’elle est obligée de réparer. C’est l’Angleterre qui a fait le mal, c’est à l’Angleterre de le payer en rendant justice à l’Irlande et en désintéressant les landlords qui se sont engagés sur la foi de la protection britannique. M. Gladstone lui en offre le moyen. Il compte s’en tirer pour le moment par un emprunt de 1 millard 250 millions qui servira à racheter les terres au taux d’une capitalisation de vingt années de revenu. Ici encore, comme pour le parlement, il y a des précautions, des conditions. Les fermiers, les tenants, nouveaux acquéreurs, auront à s’acquitter envers un trésorier anglais ; la redevance irlandaise servira de garantie aux intérêts de la dette, dont l’Angleterre assumera la charge. Au demeurant, ce n’est pas un don absolument gratuit, c’est, à des conditions déterminées et assez laborieusement combinées, la restitution des terres irlandaises aux Irlandais. En sorte qu’on a maintenant au complet le plan de M. Gladstone, le bill agraire après le bill politique. Sur les deux points, la lutte est engagée, elle est assurément faite pour passionner l’Angleterre.

La seconde partie du système de M. Gladstone, la partie agraire et financière, n’est point, à vrai dire, sans avoir soulevé bien des objections et elle a été reçue avec quelque froideur. Les Irlandais, malgré un premier mouvement d’enthousiasme pour celui qui promet d’être le libérateur de l’Irlande, se plaignent d’être traités avec méfiance, et M. Parnell lui-même fait ses réserves. Les hommes d’affaires voient un emprunt qui ne peut qu’être le prélude d’autres emprunts et une opération qui commence avec des garanties fort incertaines. Les contribuables anglais voient une grosse dette qui, en définitive, retombera peut-être sur eux. Les esprits prévoyans ou craintifs se disent qu’en dépit de toutes les précautions, les Irlandais, une fois maîtres d’eux-mêmes, se délieront lestement de leurs obligations et qu’on entre dans une grande aventure sans savoir où l’on va. Les griefs s’accusent, les critiques se multiplient, et l’opposition, avant de se retrouver au rendez-vous prochain, décisif dans le parlement, profite des vacances pour aller dans les meetings, pour émouvoir et rallier l’opinion contre les projets ministériels, contre le bill agraire aussi bien que contre le bill d’émancipation politique. Le duc d’Argyll prononçait l’autre jour à Glasgow une véhémente harangue contre ce qu’il appelait le démembrement de l’empire britannique. Lord Hartington est allé, il y a peu de