Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

travail régulier, ne demandant que l’ordre et la paix, ceux qui ont la prétention de le conduire se démènent à la surface et ne vivent, eux, que d’agitations dans l’atmosphère échauffée et factice qu’ils se créent. Ils se plaisent à fomenter, à envenimer les troubles d’industrie partout où ils paraissent, aussi bien qu’à soulever les questions irritantes qu’ils ne peuvent pas résoudre. Ils se servent d’un pouvoir, d’une influence qu’ils doivent à des circonstances momentanées pour jouer avec les institutions et les lois, pour tout désorganiser ; ils ont le goût du désordre, et ceux-là mêmes qui l’ont un peu moins, qui seraient par instinct plus modérés, se font les complaisans des plus violens. Ils s’acharnent aux mesures d’intolérance et de vexation sans s’apercevoir qu’ils froissent, qu’ils offensent les sentimens les plus inviolables, — et ils ont l’air de s’étonner quelquefois de rencontrer des résistances, de se trouver en face d’incidens douloureux qu’ils ont provoqués. Le vice profond et peut-être irrémédiable de cette situation, c’est que les politiques qui règnent depuis quelques années sont positivement en dehors de la réalité des choses. Au lieu de s’occuper des sentimens, des vœux, des intérêts du pays, ils ne s’occupent que d’eux-mêmes, de leurs calculs et de leurs idées de secte, de leurs passions, qu’ils veulent satisfaire à tout prix, ils font de la politique ce tourbillon ou la violence des instincts de domination et l’incohérence des résolutions règnent à l’envi, où il n’y a pas plus de majorité parlementaire que de gouvernement. La majorité est ce que la fait la passion du jour, l’intérêt momentané de parti. Le gouvernement n’a d’autre souci que de chercher sans cesse où est cette majorité, de céder pour vivre, aux fantaisies, aux entraînemens des uns et des autres, au risque de livrer successivement les conditions, les garanties, la dignité de toute vie régulière.

Que la session soit ouverte ou fermée, la question est la même, et elle est à peu près insoluble tant que la raison, le sentiment des conditions d’un ordre régulier n’auront pas repris leur place dans la politique. On parle sans cesse de la nécessité de refaire un gouvernement, de déployer l’autorité de la république, de la loi républicaine, et jusqu’ici on procède étrangement en vérité pour résoudre ce problème, pour montrer qu’on est un gouvernement. — Ah ! s’il s’agit de guerroyer contre les conservateurs, d’imposer un instituteur laïque à une population, de disperser des sœurs de charité ou de fermer une chapelle, on ne craint rien, on sera fort ; on mettra les gendarmes en mouvement, et au besoin M. le ministre de l’instruction publique se chargera de justifier l’emploi des armes, d’expliquer comment force doit rester à la loi, dût le sang couler comme à Châteauvilain. Il l’a expliqué devant la chambre des députés ; il a repris son thème tout dernièrement devant le sénat, en répondant à une interpellation aussi mesurée que chaleureuse de M. le duc d’Audiffret-Pasquier. S’il s’agit