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l’année dernière au concours de la ville de Paris. L’une est le Rubezahl de M. Huë ; l’autre est le Chant de la cloche de M. d’Indy. M. d’Indy a dû, je crois, à la majorité d’une seule voix l’honneur de la première récompense ; mais l’opinion du public et de la critique a vu plus de distance entre les deux partitions que n’en avaient vu les juges ; le suffrage universel s’est prononcé plus nettement, et, selon nous, plus justement que le suffrage restreint.

Nous avons été empêché d’entendre Rubezahl, et comme la lecture, même renouvelée, qui pour nous est le complément indispensable de l’audition, n’en saurait être l’équivalent parfait, nous devrions peut-être hésiter à formuler noire jugement. Mais, heureusement, la partition de M. Huë est assez claire, assez simple (cela soit dit à sa louange), pour qu’on puisse la rassembler tout entière sous les yeux et sous les doigts ; de plus, le nom des instrumens, très utilement indiqué de place en place, aide le lecteur à se faire une idée de la combinaison des timbres et des effets d’orchestration pure.

Le sujet un peu banal de Rubezahl est le double amour du chevalier Rodolphe et de l’enchanteur Rubezahl pour la princesse Hedwige, l’enlèvement de la jeune fille par le magicien et sa prompte délivrance par le héros ; voilà toute l’histoire. Elle a pour décor les forêts de la Bohême et le bord de ses lacs mélancoliques. Au début de la première partie, les génies soumis à Rubezahl accourent auprès de leur maître ; ils ont cherché partout une vierge digne de lui, et c’est Hedwige, la fille du roi, qu’ils ont choisie. On dirait que de vagues réminiscences du Manfred de Schumann ont passé sur cette page. Le dialogue de Rubezahl et des gnomes est martelé comme le premier entretien de Manfred et des esprits. La scène est d’ailleurs intéressante et animée, traversée par d’éclatans appels de cuivres, par une phrase très fière de Rubezahl : Quand s’éveille en mon âme un désir inconnu. L’accompagnement annonce ingénieusement le thème du morceau qui suit : un chœur dans les jardins d’Hedwige, élégant et facile sans beaucoup d’originalité. J’aime mieux l’air de la jeune fille, écrit dans une tonalité charmante et dans un sentiment très poétique ; les quelques mesures d’orchestre qui le précèdent sont pleines d’harmonies qui se frôlent moelleusement ; la phrase principale se pose avec simplicité et se résout avec grâce, pour reprendre ensuite et s’achever avec éclat. À cette rêverie succède un chœur d’allégresse insignifiant, puis la ballade du cavalier de Bohême, une excellente page de musique descriptive. M. Huë n’est pas tombé dans l’excès de la recherche pittoresque ou dans la bizarrerie instrumentale : il a produit toute l’impression de sa chevauchée par la continuité du rythme et par la double progression de la sonorité et de la tonalité. Il avait d’ailleurs dans le Roi des aulnes, je ne dis pas un modèle, car il n’a