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vous en répond ? Sa modération, sans doute, et certes, dans sa leçon d’ouverture, il en a fait preuve. Mais est-ce là une garantie suffisante ? Et qui vous dit qu’à défaut de M. Aulard, un autre n’osera pas ? Qui vous dit qu’à Lyon ou à Bordeaux, le conseil municipal, alléché par le précédent qu’on vient d’établir, ne va pas exiger des créations analogues au profit de quelque fruit sec de la politique ou de quelque aventurier de lettres ? Quoi qu’il en soit, on peut tout attendre aujourd’hui, et de la faiblesse d’un gouvernement, qui a élevé l’art de se replier en désordre à la hauteur d’un principe, et des entreprises d’une démocratie qui sait maintenant qu’elle n’a qu’à frapper pour que toutes les portes, même celles qui se défendaient le mieux autrefois contre ses doctrines et son esprit, s’ouvrent aussitôt devant elle.


IV

C’est toujours un noble spectacle que celui d’une minorité réduite aux abois, condamnée d’avance et qui, néanmoins, lutte pied à pied, tirant ses dernières cartouches pour la justice et pour le droit. Il y a là pour les âmes un peu bien situées des satisfactions qui échappent au vulgaire et qui sont déjà par elles-mêmes une revanche. La foule peut se donner d’autres jouissances et les partager avec ses serviteurs, elle ne connaîtra jamais cette volupté de sentir qu’on est un contre dix et qu’on ne se rend pas, qu’on a contre soi la force imbécile et brutale, et qu’elle vous écrase, mais sans vous dompter. Tel a été, depuis quelques années, le lot des conservateurs dans presque toutes les discussions relatives aux écoles : constamment sur la brèche et constamment battus, ayant pour eux la raison, le talent, l’éloquence, et ne parvenant pas à se faire entendre de chambres serviles et d’un pays qui s’abandonne, ils ont toujours trouvé, grâce à Dieu ! de quoi largement se consoler de leur disgrâce. Si le nombre leur a fait défaut, l’élite à coup sûr ne leur a pas épargné ses suffrages et combien, parmi ceux qui les leur ont refusés, n’en sont pas plus fiers !

Trois grandes lois, sans compter les circulaires et les décrets, ont été comme les étapes de cette lutte acharnée : la loi du 16 juin 1881 sur la gratuité, celle du 28 mars 1882 relative à l’obligation, celle enfin que vient de voter le sénat. La trilogie, l’œuvre est complète à présent : on peut l’embrasser d’ensemble et porter sur elle un jugement définitif.

La première de ces lois, celle du 16 juin 1881, ne soulevait pas d’objections de principe. Il y avait longtemps, en effet, que