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précédens pour suppléer à ce qui lui manque sous le rapport de la raison et de l’équité ? Le droit, les précédens monarchiques assurément ; les ordonnances de 1828 et les arrêts de 1762 sans doute, Louis XV et Charles X, c’est certain ; Napoléon encore. Mais que viennent faire ici ces souvenirs historiques, cette évocation d’une législation abolie, d’un passé mort et enterré depuis plus d’un quart de siècle ? Et quelle est cette comédie ? Le gouvernement de la république française répudiant l’exemple et les erremens de ses prédécesseurs de 1848 pour ressusciter ceux du premier empire et ceux de la restauration ? En vérité, pour réduire ses défenseurs à de si pauvres argumens, il fallait que la cause fût bien mauvaise.

Elle n’était pas défendable, en effet, ni quant au droit, ni quant à la justice, ni quant à la politique elle-même, et, pour la gagner devant le parlement tout entier, il eût fallu que celui-ci fût réduit, au préalable, à l’état de vassalité. Or, si les temps étaient déjà venus pour la chambre, l’heure n’avait pas encore sonné pour le sénat. Il lui restait de sa jeunesse une certaine force de résistance, contre laquelle vinrent échouer, — ô miracle ! ô souvenir antédiluvien ! — tous les sophismes et toute l’industrie de M. Ferry.

On sait le reste et je ne le rappelle ici que pour mémoire. Jadis, quand un cabinet avait été battu dans l’une ou l’autre chambre sur un article de loi d’une certaine importance, de deux choses l’une : ou il retirait son projet ou il se retirait lui-même. C’était l’usage ; mais à qui venait de si bien jongler avec le droit écrit que pouvait importer la coutume ? M. Ferry, tranquillement, prit des décrets, rendit un ukase, et tout fut dit. Au lieu de l’interdiction d’enseigner, les congrégations subirent une expulsion violente. L’article 7 leur laissait la vie en commun, en terre française, sur ce sol naguère arrosé du sang de leurs otages et de celui de leurs élèves. Il leur fallut, de par les décrets, se disperser, chassés brutalement, comme des malfaiteurs, dans le même temps que les portes de la France, en attendant celles du parlement, s’ouvraient devant leurs assassins. C’est alors qu’on vit ce spectacle édifiant : des officiers généraux réduits à mettre le siège devant d’inoffensives chartreuses ; des préfets en grand costume et des maires revêtus de leur écharpe faire le métier de recors et de crocheteurs, et, pour couronner par une dernière iniquité cet ensemble de mesures violentes, le tribunal des conflits, cette haute juridiction, décider à la majorité d’une voix, que les seules lois existantes applicables aux congrégations sous la république étaient les lois de la monarchie.

Ainsi finit, par une exécution militaire suivie d’une parodie de jugement, le premier acte de ce malheureux conflit entre l’église et l’état.