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à conséquence ; tout, ou à peu près tout, est permis à la scène, devant un auditoire que l’ivresse a affranchi de toute loi, potas et exlex. — On observe encore que Socrate n’a jamais nié l’existence des divinités d’Athènes, et Xénophon nous le montre même fort dévot. Comment l’inoffensive croyance à son démon aurait-elle pu faire méconnaître à ce point son caractère et sa piété ? Mais la piété des philosophes est toujours suspecte au vulgaire ; il la soupçonne de n’être qu’une concession dédaigneuse à des superstitions qu’ils réprouvent ou qu’ils interprètent à leur façon. Socrate n’était peut-être pour la majorité de ses juges qu’un hypocrite pensant et même disant tout bas ce qu’avaient dit tout haut Anaxagore et Protagoras. Son ironie perpétuelle pouvait faire douter de la sincérité de son culte. Enfin, aigrie par ses longs malheurs, irritée contre les instituteurs nouveaux de la jeunesse, persuadée qu’un retour à l’ancienne discipline rendrait à Athènes et ses vertus passées et sa grandeur évanouie, la démocratie frappa dans Socrate le plus populaire de ces sages qui avaient si profondément changé les mœurs, les idées, la religion. On n’avait pu atteindre Protagoras, Anaxagore ; mais les rancunes étaient restées vivaces : Socrate paya pour eux. La réaction politique fit mourir le maître d’Alcibiade et de Critias, l’ennemi du gouvernement par la fève ; la réaction religieuse fit boire la ciguë à l’héritier apparent de cette race impie des philosophes, à qui les dieux des ancêtres ne suffisaient plus.


III

Nous ne saurions avoir l’intention, dans les limites étroites de ce travail, d’aborder tous les points sur lesquels les appréciations de M. Zeller nous ont paru devoir être ou complétées ou redressées. Nous avons choisi les plus importantes, au risque peut-être de répéter bien des choses abondamment connues. D’autre part, il n’y aurait qu’un médiocre intérêt à suivre l’éminent historien à travers les petites écoles socratiques : Platon et Aristote ne peuvent être l’objet de quelques lignes, ni même de quelques pages ; la traduction que nous avons sous les yeux s’arrête, d’ailleurs, au seuil du platonisme. Nous n’aurions guère qu’à approuver dans l’exposition que fait M. Zeller de cette grande philosophie, mais nous ne craignons pas d’avouer notre préférence pour la belle et profonde étude de M. Janet sur la dialectique de Platon et pour l’interprétation magistrale, encore qu’un peu systématique, de M. Fouillée. Le volume consacré à Aristote ne fait oublier ni l’œuvre désormais classique de M. Ravaisson, ni les travaux si remarquables à des titres différens de MM. Barthélémy Saint-Hilaire, Vacherot, Waddington, Ch. Lévêque, Ollé-Laprune. A l’égard d’Épicure, l’injustice de M. Zeller