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décisions, il était devenu le plus importun des hommes. Il s’était mis en tête que rien n’était fait tant que Rome n’appartiendrait pas à l’Italie, et il avait juré qu’il la lui donnerait par un coup de main. Il disposait de bandes qui lui obéissaient aveuglément ; il les réunissait et les dispersait à volonté ; il spéculait aussi, à tort, sur le soulèvement des populations romaines. Il n’avait pas d’idées, mais il avait une fureur : renverser le pape. Aspromonte lui avait laissé de cuisans souvenirs, il ne se souciait pas de se retrouver en conflit avec l’armée italienne, exposé à ses balles. Aussi avait-il modifié sa tactique ; son plan était de faire passer la frontière isolément à ses soldats, de ne provoquer aucun rassemblement sur le territoire royal, d’installer des comités à Rome, d’y faire pénétrer des caisses d’armes et de munitions. Des députés cachés devaient, au premier signal, sortir de leur retraite et se constituer en convention révolutionnaire.

Lorsqu’on demandait à M. Rattazzi des mesures préventives, il répondait qu’il réprimerait les agressions le jour où elles se produiraient, mais que la législation ne lui fournissait aucun moyen d’agir préventivement. Il disait que la popularité de Garibaldi, sa qualité de député et son habileté à ne jamais donner prise à la loi, soit par ses actes, soit par ses paroles, n’autorisaient pas le gouvernement à sévir avec la certitude d’être soutenu par le parlement et par les tribunaux. Avec une fécondité de ressources extraordinaire il trouvait réponse à toutes nos objections. A l’entendre, il n’y avait pas de dépôts d’armes, pas de bureaux d’enrôlemens, pas de souscriptions, et, lorsque nous revenions à la charge avec des faits précis, il reconnaissait qu’il y avait quelque chose, mais il prétendait que ce n’était vraiment pas la peine d’en parler : Ma poca cosa, disait-il. Le ministre nous promettait toutefois de faire surveiller Garibaldi activement ; il voulait le laisser aller jusqu’à la dernière limite de la légalité, de manière qu’il ne restât de doutes à personne sur l’exécution imminente de ses projets, et l’entourer, au dernier moment, de telle façon qu’il ne pût échapper.

Cependant, l’idée d’un second Aspromonte l’effrayait. Les balles sont aveugles : qui pouvait répondre que le héros de Marsala, aux prises avec les bersaglieri, ne serait pas cette fois mortellement atteint ? Quelle responsabilité ! Jamais l’Italie ne pardonnerait un pareil attentat. Mais comment arrêter un mouvement qui grandissait d’heure en heure ? La gauche, qui donnait l’appoint à la majorité du ministère, réclamait Rome. Elle était en communion de sentimens avec Garibaldi ; il n’était pas aisé de lui faire entendre raison et de l’amener à se départir de son programme. M. Rattazzi dépensait son éloquence à lui démontrer les inconvéniens d’une politique de revendications directes, violentes. Il préconisait la