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demander qu’on enlevât le drapeau français, l’étendard qui avait affranchi l’Italie, émancipé les peuples, des faisceaux où se confondaient les bannières de toutes les nations. Après avoir arrêté un sage programme, on avait abordé les problèmes les plus vertigineux ; on avait insulté nos couleurs sans qu’un Français protestât ; on avait exprimé tout ce qui peut entrer d’insanité dans une cervelle humaine.

La population de Genève, froide et sensée, avait fini par s’impatienter ; elle protestait contre ces écarts de la parole, contre ces violences de la pensée. Les protestans partageaient l’indignation des catholiques ; ils trouvaient que le congrès mentait à son programme, que ses adhérens abusaient de l’hospitalité de leur cité : catholiques et réformés[1] adressèrent des protestations aux autorités municipales ; ils demandèrent qu’en présence de la confusion d’idées qui se manifestait au sein de l’assemblée, on mit fin, dans l’intérêt de la paix et de la liberté, à d’irritantes discussions. L’expérience était faite, les illusions étaient tombées, le congrès de la paix avait vécu, laissant le souvenir d’une folle aventure ; il avait révélé les aberrations de l’esprit révolutionnaire.

Garibaldi partit ou plutôt s’esquiva, moins glorieux qu’il n’était venu. Il s’était trompé d’époque. Genève s’était révoltée au XVIe siècle contre les abus de la papauté ; mais, en possession de la liberté de conscience, elle avait applaudi aux transformations de l’église ; elle respectait tous les cultes et ne se souciait pas de s’associer à ceux qui réclamaient l’extermination des prêtres et la destruction du pouvoir temporel.

Tandis qu’à Genève, au congrès de la paix, on s’attaquait aux institutions civiles, politiques et religieuses, à Lausanne, au congrès des ouvriers, on faisait à la même heure le procès au capital ; on préconisait l’anarchie, on réclamait une liquidation sociale. Partout la révolution relevait audacieusement la tête et, sous de perfides inspirations, s’acharnait avec une noire ingratitude contre la France. La France avait pris en main la défense des opprimés, l’émancipation des peuples, ses portes s’étaient ouvertes à tous les proscrits ; elle les avait assistés, adoptés, elle leur avait adouci l’exil ; et ceux qui lui étaient redevables du droit d’écrire, de parler, d’affirmer la liberté et de revendiquer l’égalité, la poursuivaient de leur animosité. On ne s’expliquait pas qu’une nation généreuse, courtoise, toujours prête à se sacrifier, à transiger avec les intérêts d’autrui, pût être l’objet de haines implacables. Ses

  1. « Genève a été révoltée, disait M. Fazy, de ces excès ; les catholiques se sont honorés devant l’Europe par leur dignité et le calme de leurs protestations, et les vieux protestans de la cité ont sauvegardé leur honneur en s’associant à leurs protestations. »